Recruter avec amour

Lorsque j’ai exprimé pour la première fois mon souhait de travailler dans un environnement aimant, mes ami·es ont réagi comme si j’avais vraiment perdu la tête. Pour eux et elles, amour et travail ne vont pas de pair, alors que moi j’étais convaincue que je travaillerais mieux dans un environnement de travail régi par une éthique de l’amour.
bell hooks, dans À propos d’amour (2000)

Quand j’entends le mot recrutement, j’y associe automatiquement les concepts de comparaison (avec un idéal, une autre personne), de compétition (læ meilleur·e, qui aura les meilleurs résultats) et d’exercices techniques (à réaliser seul·e, dans des conditions d’examens, une évaluation basée sur des pénalités en cas d’erreur).

Quand je pense à ma conception du travail, j’y associe les concepts d’équipe (le faire ensemble, des valeurs communes, mettre au centre1), d’enthousiasme (le plaisir de se retrouver, l’énergie qu’on s’apporte) et de communication honnête (partager les informations avec la communauté coûte moins que de les garder pour soi).

J’ai recruté des collègues dans des entreprises, dans des associations, dans un service public, dans des équipes autonomes2 et même deux directeurices dans une coopérative d'activité (CAE3). La rédaction de cet article s’appuie sur cette quinzaine d’années d’expérience — celle d’un homme blanc cisgenre, autodidacte, queer, valide et dont la parole est souvent socialement valorisée.

Alors, comment est-ce qu'on pourrait recruter plus qualitativement ? D'abord, en pratiquant un détour : en s'attardant sur ce que sont une rencontre et ce qui nous attire chez l'autre.

Définir la rencontre et l'attraction

D'abord, invoquons un regard philosophique sur la rencontre :

Si vous avez rencontré quelqu'un mais que rien n'a changé en vous, je suis désolé de vous dire que vous n'avez rencontré personne.
Charles Pépin, dans La rencontre (2021)

Ce que j'aime dans cette formulation, c'est que l'évaluation est basée sur une transformation mutuelle et sans intention de transformer l'autre — un peu comme une réaction chimique. Une bonne rencontre passe par un bon dialogue, où on écoute, intègre et bonifie ce qui se dit. On gagne mutuellement à s'ouvrir des horizons4, c'est-à-dire ne pas rester uniquement dans une chambre d'écho, dans une bulle de points communs.

Deux graphiques en camembert représentent quatre parts, avant et après une rencontre. Avant, la part de points commun représente 30%, l'histoire commune 45% et le reste se partage entre les parts d'attitude et de préférences personnelles. Après, la part des points commun descend à 2% tandis que l'histoire commune augmente jusque 70%.
Schéma présentant l'évolution des caractéristiques d'attraction, avant et après la rencontre. Source : L'attirance dans le couple (mars 2024) sur la chaîne PsykoCouac

Cette focalisation sur les points communs, c'est justement une des composantes exposées dans la théorie d'évaluation de partenaire (Mate Evaluation Theory). Il y a quatre composantes en tout :

  1. les points communs (common lens) : les attributs valorisés globalement (par exemple, avoir fait la même école d'ingénierie informatique, utiliser Redux dans ses applis React, aimer randonner, etc.) ;
  2. l’attitude (perceiver lens) : l'état d'esprit perçu par la personne observatrice (par exemple, être avenant, afficher de l'assurance, marquer une pause pour réfléchir avant de répondre à une question, etc.) ;
  3. les préférences personnelles (feature lens) : préférences historiques de la personne observatrice (par exemple, réaliser qu’on s'entend mieux avec des personnes faisant preuve d'introspection, etc.) ;
  4. l’histoire commune (target specific lens) : constituer un chemin à mesure qu’on apprend à se connaître.

Cette étude note qu'on concentre 30 % de notre attention sur les points communs au tout début. Ce nombre chute à 2 % au bout d'un certain temps.

Dit autrement, se concentrer sur les points communs a un certain sens pour amorcer l’histoire mais ce n'est pas une base solide pour développer une relation soutenable. Les composantes d'attitude et de préférences personnelles restent stables dans le temps. Par contre, c'est l'histoire commune qui prend le pas.

Et c’est là que ça devient intéressant : l'histoire commune a autant de chance d'être qualitative qu'elle nous transforme mutuellement, qu'elle nourrit un enthousiasme, lui-même moteur de cette transformation.

On pourrait ainsi envisager un recrutement professionnel comme une rencontre dans laquelle on s’apporte mutuellement compétences, soutien et une écoute qui nous emmènent ailleurs.

Faire équipe

Voici quelques principes basés sur ces notions pour revisiter nos recrutements, pour les rendre plus qualitatifs.

De quelle aide a-t-on besoin ?

Il est utile de s'expliciter à nous-mêmes le contexte du recrutement avant de lister tout ce qu'on attendrait de la personne idéale.

Si on voit la fiche de poste comme un ensemble d'attentes, comme nos critères idéaux, alors l'écriture d'une intention de recrutement sonne davantage comme un point de rencontre. Elle participe à ajouter de l'équité dans la subordination du recrutement.

Ce travail d'explicitation vaut le coup d'être écrit même si on a déjà identifié une personne à recruter en direct. Ce travail vaut pour soi et sert de ressource documentaire à partager.

J'aime bien indiquer qui sont les interlocuteurices principales, d'un entretien ou du processus global. En mentionnant leurs rôles, localisations, rythmes de travail, ça ouvre déjà des possibles (ah tiens, on peut ne pas travailler à temps plein ?) et humanise la prise de contact.

J'ai aussi pris l'habitude de soit écrire de manière épicène le métier proposé (personne développeuse), soit de spécifier le rôle (développement web). Je le fais dans un souci d'ouverture, en évitant de suggérer qu'on s'attend exclusivement à des candidats masculins5.

Quelques sections que j'affectionne :

  • à propos du projet / organisation ;
  • présentation de l'équipe ;
  • missions en cours ;
  • outillage ;
  • organisation du travail ;
  • conditions pratiques du poste / mission.
Intention de recrutement pour une mission de développement web en freelance. L'extrait présente des priorités à moyen terme, l'outillage technique et l'organisation d'équipe.
Extrait d'une intention de recrutement.

Des questions à se poser :

  • Est-ce qu'on a une vision partagée d'où en est le projet ?
  • Comment se sent l'équipe en place ?
  • Quelles sont nos tensions interactionnelles et organisationnelles ?
  • Quelles sont les missions en cours ?
  • Quelles sont les missions qu'on priorise pour bientôt ?
  • Quel environnement de travail propose-t-on ?
  • Quelle organisation du travail souhaite-t-on ?
  • Comment est-ce qu'on gère l'argent collectivement ? (financements, dépenses, rémunérations, etc.)
  • Qu'est-ce qui ferait que ce recrutement serait réussi pour nous ?
  • Comment on s'en assure aussi pour la personne qui arrive ?

La relation de travail débute dès le premier message

Le début d'une relation de travail commence au premier contact — c'est-à-dire bien avant la signature d'un contrat de travail. Ce premier contact se fera lors de la réception d'une notification de dépôt sur une plateforme de candidature, lors de la réponse automatique d'une adresse e-mail générique ou bien en lisant un accusé de réception écrit par une des personnes en charge du recrutement.

Peut-être que cette relation de travail ne durera que le temps d'un bref échange (désolé, nous venons de choisir la personne à recruter), d'un seul entretien ou — plus dur — après plusieurs entretiens alors qu'on lui annonce qu'elle était la deuxième en lice.

Participer à un processus de recrutement génère du stress. C'est une attention délicate que de donner de la visibilité à chaque étape : en précisant le processus dans les premiers échanges (combien d'entretiens, avec qui, leur nature, ce qu'on attendra à chaque fois et un délai de réponse estimatif), en détaillant la séquence qui s'ouvre (déroulé de l'entretien) et en nommant l'étape suivante (nature de l'entretien, délai estimatif de notifications des éléments de préparation).

Bonsoir,

Merci pour tes dispo (…) :-)

Alors le lundi 20, je te propose une heure de discussion en visio avec {prénom} ({role} @ {ville}), {prénom} ({role} @ {ville}) et moi à 15h (ou 16h). Ça t'irait ?

Et, est-ce que le mercredi 22 tu aurais une autre heure à nous consacrer en visio pour échanger avec {prénom} ({role} @ {ville}), {prénom} ({role} @ {ville}), {prénom} ({role} @ {ville}) et moi ? On te propose ça en deux temps pour que ça soit moins intimidant que toute l'équipe d'un coup. Et aussi pour avoir le temps d'infuser certaines infos et de s'en reparler après coup.

Pour être explicite, on ne voit que toi en entretien ; il n'y a pas de concurrence/compétition avec quelqu'un·e d'autre. On ouvrira nos recherches si toi et/ou nous pensions que ça ne le ferait pas de travailler ensemble.

Est-ce que tu vois ou penses à autre chose qui pourrait rendre ce(s) moment(s) détendus pour toi ?

Bonne soirée,

{prénom}

Chaque message, chaque rendez-vous participent ainsi à écrire une histoire commune. Ils établissent petit à petit un lien de confiance, renforcent la motivation à postuler et contribuent à la motivation réciproque d'écrire une page (web) professionnelle ensemble.

Des questions à se poser :

  • Est-ce que les éléments communiqués par la candidate dessinent un potentiel chemin de travail ?
  • Est-ce qu'on identifie déjà différents niveaux de questionnements : ce qui pique notre intérêt, ce qui devrait s'apprendre à court ou moyen terme et éventuellement ce qui suscite des craintes de notre côté ?
  • Qu'est-ce que la personne a besoin de savoir pour bien s'organiser ?
  • Est-ce qu'une / plusieurs personnes aiment écrire et souhaitent prendre en charge ce travail relationnel ?
  • Est-ce que l'équipe est au clair sur le séquençage du recrutement ?
  • Est-ce qu'on s'est organisé / aménagé du temps pendant les semaines / mois que ça va prendre ?

Au moins deux entretiens, à plusieurs

Les entretiens synchrones6 servent à entretenir la relation, à lui ajouter de nouveaux éléments, à nettoyer nos premiers doutes. C'est de la responsabilité de l'équipe recruteuse d'activement chercher à résoudre ses inquiétudes sans les faire peser sur la personne candidate. Les entretiens ne clarifieront pas toutes les interrogations; de nouvelles arriveront en cours de route.

Les entretiens synchrones, c'est la rencontre de plusieurs chemins : celui des attentes de recrutement et celui des capacités (immédiates, moyen et long terme) de la personne candidate.

La séduction ne nous aide pas : ça revient à modifier son comportement pour se conformer, pour sublimer les attentes de nos interlocuteurices. Ça creuse un fossé, ça nous dissimule — en répondant « oui » plutôt que « non » ou « je ne sais pas » ou poser une question de clarification, en cherchant à plaire plutôt qu'à valoriser qui on est vraiment, etc.

Un seul entretien ne suffira pas à savoir si c'est la bonne personne : autant commencer léger, en apprenant à se connaître. C'est un peu comme une session de lancement de projet, on pose les cartes sur table pour décider ensuite comment jouer ensemble :

  • Présenter l'équipe, son parcours, ses sujets du moment.
  • Faire connaissance avec la personne candidate, éclaircir le CV, approfondir des expériences professionnelles significatives.
  • Demander ce que la personne a compris du poste/mission.
  • Répondre aux questions de la personne candidate.
  • Poser plusieurs questions opérationnelles (cf. Des questions pour mieux se connaître).

J'aime bien que le guide d'entretien soit entre les mains des personnes qui recrutent, qu'il y ait une estimation de temps pour chaque séquence. J'aime aussi que les questions et les rebonds soient distribués sur une base de volontariat. Lors de l'entretien, cette danse verbale informe de la fluidité relationnelle de l'équipe.

En présentiel, disposer autant de verres que de personnes et proposer une carafe d'eau. C'est une attention délicate. Ça offre l'occasion de reprendre son souffle, de prendre une courte pause avant de répondre à une question… et de rester hydratée pour mieux penser.

Dans le cas d'une embauche à fortes responsabilités (la direction d'une organisation par exemple), des entretiens complémentaires sont sûrement à prévoir : la rencontre avec d'autres membres de l'équipe, une discussion plus resserrée sur des aspects logistiques et financiers, etc.

Pour un deuxième entretien — s'il est technique — j'aime bien qu'il soit basé sur de la lecture/interprétation de documents (base de code, tableurs, bilans, etc.) avec un temps de préparation et un temps d'entretien.
Lors de la préparation, j'aime communiquer les questions qui seront posées par la suite. Ça oriente la lecture, évite les surprise, préserve les pleines capacités de la candidate. Cette gymnastique révèle comment la personne pense ses sujets, où est-ce qu'elle va chercher de l'information, les questions qu'elle se pose, ce qui lui manque pour bien travailler ce sujet.
Et pourquoi pas écrire du code ou designer pendant qu'on y est ? Principalement parce que ce travail de production est le résultat d'un travail d'équipe (c'est la conséquence de décisions d'organisation et de conception). En réalité, ce travail se fait en coopération dans des conditions beaucoup moins stressantes. Et que ce travail là, on le verra bien à l'usage, en travaillant ensemble.

Pour créer de la confiance, je trouve important de dire par quoi on est passé, y compris les creux dont on n'est pas fier, ce qu'on a subi ou dont on craindrait que ça rebute la personne candidate. Les reconnaître nous distingue des autres environnements de travail, ceux qui vont miser sur le brillant et nous laisser découvrir l'obscurité après coup.

Est-ce qu'à la fin d'un entretien, ça nous donne envie d'aller vers un autre entretien, vers une tentative de travailler ensemble ? Si oui, il y a un bon fil à dérouler.

Les savoir-faire techniques, ça s'apprend. Le savoir-être, un peu plus difficilement.

Exemple d'invitation à un entretien :

Bonjour {prénom},

C'est avec grand plaisir qu'on vous accueillera à nouveau dans les locaux de {société} le {date} à {heure}. L'entretien se déroulera sur une période de 2 heures.

Voici quelques indications sur le déroulé de cette deuxième rencontre :

  1. Temps de travail en autonomie de 30 à 45 minutes pour prendre connaissance de documents financiers (bilans annuels de {société}, tableau de bord financier).
  2. Questions et échanges autour des documents financiers.
  3. Questions et échanges sur les orientations de {société}, en lien avec une prise de poste (vision court terme, moyen terme et long terme).
  4. Premier échange sur votre besoin en salaire.

Et quelques prérequis :

  • un ordinateur avec lequel vous êtes familière, capable de lire des documents PDF et tableurs (type Excel/OpenOffice), avec une prise USB Type A* fonctionnelle (pour vous remettre les documents) — éventuellement en mesure de se connecter au Wi-Fi (pour effectuer des recherches ou utiliser des services en ligne durant le temps en autonomie) ;
  • tout logiciel de votre choix pour travailler avec les documents qu'on vous aura communiqués ;
  • l'ordinateur doit être en mesure de fonctionner pendant 2 heures sur secteur ou batterie.

{prénom} ({fonction}), {prénom} ({fonction}) et moi-même ({fonction}) seront vos interlocuteurices ce jour-là.

Nous serons en mesure de vous accueillir dès {heure-15 minutes}.

Je reste disponible par écrit ou téléphone d'ici-là.

Bonne journée et bonne fin de semaine à vous,

{prénom} — pour le groupe de travail recrutement

*: https://www.watteo.fr/connectique-usb/#:~:text=USB%20Type%20A

Des questions à se poser :

  • En quoi a-t-on envie de travailler avec cette personne ?
  • Qu'est-ce que cette personne apporte et qui nous manque ?
  • Est-ce qu'iel a une bonne connaissance de ses limites et sait-elle les exprimer ?
  • Notre équipe est-elle en mesure de les entendre et de les intégrer ?
  • Qu’est-ce qu'on aurait besoin d'éclaircir pour se décider ?
  • Qu’est-ce qui nous met un doute ? Est-ce critique/bloquant ou juste une préférence personnelle ?

Des questions pour mieux se connaître

Vous êtes en manque de questions pour vos entretiens ? En voici un florilège pour creuser plusieurs sujets d'intérêt :

  • Comment on a géré telle ou telle situation sur le lieu de travail (triage de bugs, harcèlement dans une équipe, coupure budgétaire, crise sanitaire, etc.) ?
  • Comment est-ce que on gère des situations de stress ?
  • Quelle est ton organisation de journée idéale ? De semaine ?
  • Comment peut-on détecter que tu as besoin d'aide, ou au contraire qu'on doit te laisser tranquille en cas de pépin ou autre ? Comment peut-on être soutenant dans ces situations ?
  • Est-ce que tu as déjà mené tel ou tel chantier dans une précédente expérience ? Pourquoi ça s'est bien passé ? Qu'est-ce que tu ferais différemment aujourd'hui, avec du recul ?

Une collecte d’indices

L'invitation est de passer d'une logique de bonus/malus à celle d'indices.

Plutôt que de dire iel a le niveau en React et elle n'y connait rien en cartographie, on peut le penser en iel a des compétences immédiates en React à apporter à l'équipe (chouette on va apprendre) et iel a démontré des capacités à se saisir de sujets nouveaux et d'avoir déjà identifié des personnes ressources sur le sujet de la cartographie… on tente ?.
Qu'est-ce qu'on y gagne ? Une pensée actionnable, des responsabilités partagées (l'équipe est soutenante et solidaire d'une montée en compétences), de l'ouverture à des profils atypiques, moins normés et pourtant riches en apprentissages pour le reste de l'équipe.

Et les « moins », les défauts, ils sont de quel côté ? Du côté de notre regard, de nos attentes, de la candidate ? Que veut vraiment dire une absence de questions : que la personne n'est pas intéressée ou qu'elle a tout compris ? Et si on trouve la personne d'attitude ferme : est-ce une attitude pour se blinder et avoir toutes les chances qu'on ne la trouve pas « fragile » ?
Nous sommes emplis de biais et de préjugés. J'ai décidé de regarder les « défauts » uniquement comme des opportunités d'apprentissage, des demandes à formuler (on aimerait que tu te mettes à niveau sur la gestion des risques psychosociaux pour prendre soin de l'équipe) ou des risques encourus pour l'équipe (intégrer une personne qui signale peu ses difficultés va peut-être nous mettre dans le rouge).

Plus concrètement, une équipe dont je faisais partie a privilégié l'embauche d'une dévelopeuse web qui avait de l'expérience sur une application utilisée par une très large palette sociale et qui avait mis en place une organisation d'équipe sur la gestion de bugs dans un contexte Scrum. On s'est dit que c'était plus parlant pour atteindre une excellente expérience utilisateur, que toute l'équipe y gagnerait, y compris en termes d'organisation. Nous ne cherchions pas que des compétences en développement web.
Nous — un autre nous — avons privilégié une personne qui avait une vision politique de son métier ainsi qu'une optique de montée de salaires en équipe, plutôt qu'une considération uniquement individuelle de son salaire.

On établit une grille d'évaluation par entretien. Chaque colonne correspond à une personne présente à l'entretien. Chaque ligne correspond à une thématique d'évaluation (lire de quelle aide a-t-on besoin ?). Par exemple : capacité à prendre des orientations stratégiques, fonctionnement en équipe au quotidien, remarques à prendre en compte pour le prochain entretien, exercice technique, prise de poste, etc. Bref, des domaines qu'on considère comme prioritaires pour un recrutement réussi.

Tableur présentant en ligne différents domaines d'évaluation tels que le contexte de travail en équipe, la prise de poste. Chaque colonne représente les évaluations positives et les doutes de chaque évaluateurice.
Extrait d'un tableur d'évaluation d'une candidate.

On peut se référer à cette grille pour prendre des décisions, partager avec le reste de l'équipe, y revenir à tête reposée.

Bref, prendre une décision informée.

Notifier ce qu’on a apprécié de l'autre

Enfin, lorsque vient le moment de notifier la décision d'équipe — que ça soit une réponse positive ou négative — c'est sympa de refléter ce qu'on a apprécié de la personne au cours des entretiens.

Selon le volume de candidatures, annoncer la réponse par téléphone — au moins pour la première dizaine de candidatures ? — et les autres par écrit. C'est d'autant plus sympa si un jour on doit appeler les candidat·es numéro deux ou numéro trois.

Une culture commune

J'ai un doux souvenir d'entendre David Larlet dire qu'on a affaire à une nouvelle équipe lorsqu'une personne la rejoint ou la quitte. On ne remplace jamais vraiment quelqu'un·e : on prend la suite. Dans tous les cas, il s'agit d'une nouvelle équipe. Les dynamiques interpersonnelles se modifient subtilement. Des aisances se créent, d'autres s'amenuisent. Ça permet aussi de considérer tout le monde, au lieu de créer une séparation implicite équipe / nouvelle personne.

Il y a dix années déjà, Kevin Goldsmith marquait mon esprit avec sa présentation (en anglais) Culture leads, everything else follows. La culture d'une organisation, c'est la manifestation de ses valeurs partagées7. Ce ne sont pas les valeurs écrites, ce sont les valeurs vécues, dans le quotidien.

Recruter, c'est prendre soin de rester aligné·es sur nos valeurs. Aller vite, favoriser les techniciens experts revient à diluer ces valeurs — ou à renforcer une culture qui nous échappe. C'est potentiellement augmenter le risque d'une dette interactionnelle ou organisationnelle s'il n'y a pas de rituel, d'espace-temps ouverts pour réajuster les parties mouvantes, pour réguler le système-équipe.

Des questions à se poser :

  • Quelles sont nos valeurs principales ?
  • Est-ce qu'on est vraiment à même de refuser une action si elle enfreint une valeur ?
  • Qu'est-ce qui fait qu'on apprécie de se retrouver à travailler ensemble ? (Ça aide à déterminer les valeurs.)
  • Est-ce que notre culture comporte des moqueries ou de l'humour qui se fait au détriment d'une ou plusieurs personnes de notre équipe ? Ou d'autres personnes ? Est-ce qu'on trouve ça sain ?

Pour la plupart d'entre nous, personne ne nous a appris durant notre jeunesse que notre capacité à nous aimer nous-mêmes dépendait du métier que nous exercions et du fait qu'il contribuait à notre bien-être. Il n'est donc pas étonnant que notre pays compte aujourd'hui tant de travailleurs et travailleuses déprimé·es. Nos emplois nous démoralisent.
Au lieu d'améliorer l'estime de soi, le travail est perçu comme un frein, comme une contrainte.
Introduire l'amour au sein de l'environnement de travail peut déclencher la transformation nécessaire pour faire de n'importe quel emploi, aussi subalterne soit-il, l'occasion pour les travailleurs et travailleuses d'exprimer le meilleur d'eux-mêmes et elles-mêmes.
bell hooks, dans À propos d’amour (2000)

Intégrer une nouvelle personne — ou se retrouver en effectifs moindres — est l'occasion de se tourner à nouveau vers un même horizon. C'est l'occasion d'actualiser l'histoire de l'équipe, de se poser des questions sur ce qu'on continue, ce qu'on arrête… ce qu'on transforme. Bref, de mieux s'organiser.

Merci à Audrey, Hubert, Marie, Stephen et Véro pour leur écoute, partages et aide lors de MiXiT 2024. Merci à Anne et à Luc pour leur travail de relecture.


📚 Accéder à la bibliographie de cet article.

📺 Regarder une version vidéo (moins complète et moins satisfaisante) de cet article.


  1. Partager les choses avec le collectif plutôt que de les garder pour soi. 

  2. La formation composite, tant par des indépendant·es que des salarié·es d’une structure individuelle ou collective. 

  3. Les CAE offrent un statut d'indépendant·e, une protection sociale et une gestion démocratique de notre outil de travail. En savoir plus

  4. D'ailleurs, c'est le principe de l'initiative faut qu'on parle

  5. Le « masculin neutre » oriente vers un imaginaire masculin. Plus d'explications dans l'article Le cerveau pense-t-il au masculin ? de Pascal Gygax, Sandrine Zufferey et Ute Gabriel dans Glad (n°12, 2022). 

  6. Je n'ai recruté qu'en visioconférence (sans sous-titrage, avec sous-titrage automatique et avec un service de transcription humain) et en physique — je ne peux m'exprimer qu'à propos de ces deux modes. 

  7. Je distingue deux types de valeurs : les valeurs vécues et les valeurs affichées. Les valeurs vécues sont celles véhiculées par les actions. Les valeurs affichées sont celles écrites avec des mots. Les faits parlent au-delà des mots. 

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