Parle de ton chien ! - conseils pour réussir ses conférences

Après plus de deux ans avec une activité de conférencière, je fais maintenant partie des orateurices confirmé·es et il arrive souvent que des personnes qui aient envie de se lancer dans cet exercice me demandent des conseils. J'ai longtemps cherché une ressource écrite par une ou un collègue qui reflèterait ce que je conseillerais mais n'en ai pas trouvé. Il y a beaucoup d'articles, de vidéos et même de livres de qualité sur comment faire une conférence mais ça ne me convient pas. En général, il y a beaucoup trop de conseils, ce qui me semble peu productif. Pensez aux documentations que vous lisez dans le cadre de votre métier. Si elles sont trop longues, vous allez vous décourager. Et souvent, il y a aussi des conseils très spécifiques qui relèvent plus du goût de la personne qui écrit l'article plutôt que des conseils génériques.

Par exemple, j'ai entendu des gens dire “il faut faire des diapositives très professionnelles, pas trop colorées, avec uniquement des informations concrètes”. Et c'est une possibilité, oui, j'ai assisté à de supers conférences où les diapositives étaient comme ça. Mais j'ai vu aussi plein de supers conférences où la présentation était à l'opposé de ce conseil.

J'ai aussi lu des conseils du genre “habille-toi sobrement” ou “ne t'habille pas trop casual, tu es en représentation”, ou au contraire “ne sois pas trop apprêté·e, tu risques de perdre l'attention de ton public”… Et j'ai même vu des conseils genrés, plein de bonne volonté j'imagine, mais que j'ai trouvés très problématiques, comme “ne mets pas de jupe ou robe, tu ne seras pas prise au sérieux”. Tous ces conseils pour moi n'ont aucun sens, pas uniquement parce qu'ils se contredisent, mais parce qu'ils imposent une règle rigide à des personnes très différentes.

On ne fait pas tous·tes les mêmes conférences. On n'aborde pas les mêmes thèmes, et même si on le faisait, je suis à peu près sûre qu'on le ferait tous·tes différemment. On n'a pas la même pédagogie, la même approche du public. On n'a pas non plus les mêmes enjeux selon notre genre, notre ethnie, notre orientation sexuelle, notre silhouette, notre handicap (etc.) quand on monte sur scène. Et on n'a pas les mêmes envies. Donner des conseils pour réussir une conférence est donc particulièrement difficile, parce que ces conseils devraient être personnalisés. J'ai pris un moment pour réfléchir, et j'en suis venue à la conclusion que mes trois conseils pour réussir une conférence sont :

  • Sache ce que tu veux dire.
  • Pense à l'accessibilité.
  • Parle de ton chien.

Pas de panique, je vais développer… En attendant, voici une photo de Trufa, ma chienne, dont je parle à chacune de mes conférences :

Une petite chienne noire de type lévrier est assise bien droite sur un canapé bleu. Elle fixe la caméra d'un air intense.
Cet article est sponsorisé par Trufa, qui m'a dit de dire qu'elle était la plus mignonne des chiennes...

Walk this way

Sache ce que tu veux dire

Je dis toujours que ma première conférence était à Paris Web en 2022, mais ça n'est pas tout à fait exact. En réalité, j'avais déjà fait une conférence en 2021. Une conférence courte d'une vingtaine de minutes, à distance, où je faisais un retour d'expérience de ma reconversion. Ma conférence à Paris Web en 2022 est la première fois que je me suis vraiment sentie conférencière, mais j'avais donc déjà eu un entraînement.

Et à l'occasion de cet entraînement, j'avais été coachée. Et mon coach m'a donné quelques conseils, celui que j'ai le plus retenu c'est de savoir de quoi je voulais parler. Parce que je n'avais que vingt minutes et, comme j'ai toujours tendance à vouloir le faire, en tirant le fil de ma conférence je tirais en même temps des tas d'autres fils que j'avais envie d'incorporer. Et très raisonnablement, à un moment, mon coach m'a dit : il faut que tu saches ce que tu veux dire, et après tu sauras parmi toutes tes idées lesquelles incorporer.

Et c'est un très bon conseil, que je continue d'appliquer. Une conférence c'est un temps court et c'est un format très particulier, pour lequel on n'a pas de seconde chance. Pas possible de mettre de notes de bas de page, pas possible de gratter quelques minutes de plus pour développer une tangente, et aucune idée de si les gens iront voir les ressources une fois chez elles·ux. Donc globalement, on a un temps donné, et c'est ça qu'il faut utiliser.

Si on ne sait pas où on veut aller, on ne pourra pas embarquer le public avec nous. Si on ne sait quel est notre sujet, notre argument, au-delà du pitch et du titre, alors on risque de se perdre. Et c'est vrai pour le type de conférences que je fais (des conférences sociales, souvent sous forme de plaidoyer) mais aussi pour les conférences dites techniques1 qui demandent malgré tout une argumentation, même si elle est souvent plus subtile, et surtout un fil directeur.

Alors définir ce qu'on veut dire dans une conférence est le plus important. C'est à faire au moment où on travaille l'idée, quand on crée le pitch et le titre pour envoyer aux CFP (Call For Papers - appels à propositions) des évènements. Si je n'écris jamais la conférence avant qu'elle soit acceptée quelque part, je sais toujours exactement ce que je veux dire dans cette conférence au moment où j'écris l'abstract.

Par exemple, j'ai eu la chance de faire l'ouverture du dernier Paris Web cette année avec ma nouvelle conférence Mots à Maux - comment le langage reflète et entretient les parties les plus toxiques de notre industrie. Quand j'ai postulé, je n'avais que peu d'idées précises de ce que j'allais mettre dans la conférence au niveau des contenus. J'avais déjà lu un des livres et plusieurs articles sur lesquels je me suis appuyée pour écrire la conférence, j'avais déjà étudié le sujet, je savais vers quels travaux me tourner, mais je n'avais aucune idée des citations que j'allais mettre ou de l'architecture que mon argumentation aurait. Par contre, je savais que l'argument au cœur de cette conférence était : au lieu de se contenter d'adapter le langage aux changements de sociétés, il faudrait l'utiliser comme outil pour changer la société. Et après des mois de travail sur la conférence, aujourd'hui si on veut la résumer au plus simple, ça reste cette idée qui ressort.

Savoir ce que je voulais dire m'a sauvé la vie plusieurs fois. Mon angoisse quand j'écris une conférence est toujours de ne pas avoir assez à dire. Alors je note toutes les idées qui me viennent proches ou éloignées et à la fin je me retrouve avec de quoi faire une journée sur le thème. C'est super parce que du coup je sais que je pourrai creuser le sujet d'autres façons : avec des articles, avec des ateliers... Mais c'est très embêtant parce que c'est très difficile de prioriser ce qui a sa place dans la conférence ou non, particulièrement avec mon angoisse pré-écriture qui est toujours "Oh mon dieu iels ont pris ma conférence mais en fait je n'ai rien à dire, ça va être vide et nul !" (On dit que les chien·nes et leurs humain·es se ressemblent, je ne me demande pas pourquoi Trufa est parfois une drama queen...)

Alors savoir ce que je veux dire me permet de faire le tri. J'élague jusqu'à avoir un fil clair. Et puis, si jamais une fois que j'ai écrit je me rends compte que je n'en ai pas assez, j'en rajoute un peu. 2

Savoir ce que vous voulez dire dans votre conférence vous évitera de passer à côté du sujet et de vous en rendre compte après l'avoir présentée à un public... J'ai été témoin de ce genre de moments et c'est vraiment triste parce qu'une conférence demande beaucoup de travail et se rendre compte que le public n'a pas du tout reçu ce qu'on voulait lui transmettre est un brise cœur.

Une petite chienne noire de type lévrier est couchée sur un canapé bleu. Elle est de trois quarts et a la tête posée sur ses longues pattes. Elle a l'air très déprimée.
Et Trufa va être très triste...

Pense à l'accessibilité

Quand on fait une conférence, le but est de faire passer son message au plus de gens possible. Ne pas penser à l'accessibilité est donc complètement absurde, puisque ça veut dire qu'une partie des gens ne pourront pas accéder à ton contenu.3 Alors oui, il y a des choses à faire pour rendre sa présentation accessible, et ça touche à plein de facettes de la conférence auxquelles on ne pense pas toujours. Je découvre régulièrement de nouvelles choses à faire, à ne pas faire, pour rendre mes conférences plus accessibles, et j'essaie de m'y adapter au mieux.

Et parfois, ça demande aussi de s'adapter aux évènements dans lesquels on va. Par exemple, à Paris Web, il y a le sous-titrage live et la traduction en LSF (Langue des Signes Française). Du coup, il y a toute une partie du travail qui est effectuée par la convention. Pour autant, ça nous demande de nous adapter. Moi qui parle très vite, et qui doit déjà corriger cette habitude en temps normal pour que les gens puissent me suivre, à Paris Web j'apprends petit à petit à aménager des pauses pour que les sous-titres et les signeuses LSF ne se retrouvent pas avec un énorme décalage.

Mais la plupart des évènements tech n'ont pas de sous-titrage ou de LSF. Il y a un an, j'étais à Berlin pour une convention tech où je faisais une conférence sur l'éthique dans la tech. Je la faisais en anglais, ce qui n'est pas un problème en soi, je parle anglais. Sauf que cette conférence n'avait pas d'aménagements pour l'accessibilité type sous-titrage live ou LSF et à la fin un homme du public est venu me voir. Il était sourd et avait eu du mal à faire fonctionner son outil de speech-to-text sur ma conférence parce que j'avais un accent français trop fort.

J'ai réalisé que je m'étais toujours appuyée sur les conventions à ce sujet et que je considérais que s'il n'y avait pas de sous-titrage, ça n'était pas de mon ressort de faire quoi que ce soit pour pallier à ce manque. Pourtant, me retrouvant face à quelqu'un frustré par ce manque d'accessibilité, je me suis dit qu'il y avait forcément quelque chose à faire. 4

Depuis, je fais ce que j'appelle un "pré-transcript" que je mets à disposition des personnes du public au début de la conférence. C'est ma conférence rédigée, diapositive par diapositive. Et même si ce n'est pas aussi bien qu'un sous-titrage live ou de la LSF, même si je n'apprends pas mon texte par cœur, que mes conférences sont vivantes, et que donc le transcript n'est pas parfait, les gens apprécient, ça semble aider pas mal de personnes à suivre.

Autrement, il y a d'autres choses auxquelles penser au niveau de l'accessibilité, et je n'ai sûrement pas une liste exhaustive à donner mais je sais que pour moi les points d'accroches ont été les suivants : faire attention à ce que les textes ne soient pas trop petits, que les contrastes soient corrects, faire une description à haute voix de l'image sur la diapositive si elle est porteuse d'information, attention à ne pas parler trop vite (mon problème principal donc), à bien articuler...

Il y a sûrement des tas d'autres conseils que j'oublie, mais ce qui est sûr c'est qu'il faut surtout écouter son public et ne pas hésiter à s'adapter selon les retours. Et oui, ça demandera du travail, mais ça fait partie intégrante du travail d'orateurice. Si vous pensez que l'accessibilité c'est du bonus et pas la base, c'est un problème plus vaste que la question des conférences.

Une petite chienne noire de type lévrier est couchée sur un lit. Elle est lovée dans un plaid rose et fixe la caméra d'un air jugeant
Et Trufa va vous juger...

Who let the dogs out?

On en arrive donc au dernier conseil : parle de ton chien !

Vous allez me dire : “Oui mais et si on n'a pas de chien ?” Pas de panique, c'est bien sûr une métaphore… Quoi que j'apprécierais que tout le monde parle de ses chiens, chats, tortues, oiseaux, rongeurs, lapins (etc) plus souvent en conférence parce que je trouve insupportable de ne pas voir des photos d'animaux mignons partout !

Quand j'ai fait ma première conférence pour Paris Web, je l'ai écrite, je l'ai apprise... Rien de bien étonnant... Et puis, deux jours plus tôt je me suis réveillée le matin en réalisant que ça n'allait pas. Je n'étais pas satisfaite de ce que j'avais fait, c'était beaucoup trop linéaire. J'avais écrit un truc assez classique : je racontais mon expérience de reconversion, et après je faisais un plaidoyer pour les profils atypiques. Mais je trouvais que ça manquait de puissance. La première partie était plan-plan, la deuxième semblait artificielle... Bref, il fallait que je refasse complètement la structure.

Donc j'ai fiévreusement tout détruit pour tout reconstruire, ce qui fait que j'ai testé à l'oral ma conférence pour la première fois la veille, dans la chambre d'hôtel et que je n'ai eu le temps de la répéter que deux fois avant de me retrouver sur scène. Encore heureux que parler en public n'était pas particulièrement angoissant pour moi parce que c'était vraiment chaotique. Mais j'avais eu raison de faire ça, la première version était sûrement ce que la plupart des gens m'auraient conseillé de faire, mais ça ne me ressemblait pas. Et une conférence qui ne vous ressemble pas ne fonctionnera pas.

Une conférence n'est pas uniquement un savant mélange de faits, d'une argumentation ou de travaux que vous exposez. C'est votre personnalité, votre façon de la dire, qui permettra au public de vous suivre sur votre cheminement. Si vous vous forcez à faire quelque chose qui ne vous correspond pas, ça se verra tout de suite et le public ne vous suivra pas.

Moi je suis incapable de faire quelque chose de très formel. J'ai besoin de liberté quand je déroule un fil. J'ai plusieurs conférences qui sont carrément sur un modèle complètement chaotique : on part dans tous les sens, et à la fin on se rend compte qu'en fait il y avait une cohérence et que ça nous a amené·es exactement là où je voulais. C'est un travail d'équilibriste, ce n'est pas évident à faire et ça ne s'adapte pas à tous les sujets. Mais quand ça fonctionne, ça fonctionne très bien.

Même sans aller jusque là, j'ai besoin d'être moi-même sur scène. J'ai besoin de pouvoir bafouiller à certains moments, de perdre mes mots, d'y revenir. J'ai besoin de pouvoir placer une blague imprévue. J'ai besoin de pouvoir faire référence à une actualité. J'ai besoin de pouvoir rebondir sur les réactions du public. Bref, mes conférences sont vivantes. Je les travaille énormément au préalable pour qu'elles puissent avoir la liberté de l'être, parce que c'est comme ça que je suis à l'aise. Si je devais juste réciter un texte à chaque fois, je m'ennuierais, je ne ferais plus de conférences si c'était ce qu'on attendait de moi.

Et dans toutes mes conférences, je parle de ma chienne. Pire, je parle de ma chienne, Trufa, et de notre colocachienne, Plume. Et je montre une photo. Je fais ça juste après m'être présentée et juste avant d'entrer dans le vif du sujet. Au début j'ai fait ça parce que ça me permettait d'avoir un temps de respiration et que ça me déstressait pour lancer ensuite la conférence à proprement parler. J'ai réalisé depuis que c'était aussi une super façon d'humaniser le discours, de créer un lien avec le public. En montrant mes chiennes, je montre une partie de moi, je casse le mur qui est entre nous.

Je sais que certaines personnes vous conseilleront de garder ce mur. Il faut dire qu'il est rassurant. Arriver sur scène, donner sa conférence en étant aussi neutre que possible, en se positionnant au-dessus du public, comme une experte ou un expert, et ne surtout pas essayer de créer une relation, ça paraît plus sécurisant. Garder les gens à distance les empêche de nous faire du mal. Et monter sur scène est une action qui nous rend très vulnérable, je comprends pourquoi on pourrait avoir envie de se protéger.

Mais en fait, créer du lien avec le public, c'est se protéger aussi ! C'est lui rappeler votre humanité commune. C'est vous rendre sympathique. C'est aussi faire en sorte qu'on se souvienne de vous et de votre sujet.

Quand j'étais éducatrice spécialisée, on me demandait souvent "mais spécialisée de quoi ?" et ma réponse, qui était la même que celle que mes formateurices m'avaient faite, était "de la relation". Parce que c'est ça en fait le métier que j'ai fait, c'était créer des relations avec les gens que j'accompagnais pour qu'iels me fassent confiance pour les accompagner sur leurs problématiques sociales, médicales... Iels allaient devoir être très vulnérables avec moi, alors une de mes techniques était de casser ce mur, justement. De me montrer vulnérable à mon tour. Et ça créait une relation qui était équitable, ça évitait qu'iels me voient comme une autorité (ou pire, comme une sauveuse !) et ça créait une confiance. Certain·es de mes collègues fonctionnaient autrement, parfois au contraire prenaient une position très verticale... Et j'ai pu voir à quel point ça pouvait compliquer le parcours.

J'applique à mes conférences ce que j'appliquais quand j'étais travailleuse sociale : si je veux que les gens marchent avec moi sur le bout de chemin qu'on est sensé·es faire ensemble, alors je dois être moi-même, être honnête et accepter de me montrer vulnérable.

C'est ça que je fais quand je parle de ma chienne. Et ça me permet d'aller très loin dans la vulnérabilité, ça me permet d'aller vraiment au fond des choses. Et ça permet que les gens m'écoutent. Même quand c'est pas du tout leurs sujets de prédilections, mêmes dans les conférences très orientées tech, même quand j'ai été la première conférence sociale à certains évènements... Mes conférences ont toujours été bien reçues.

Alors, parlez de votre chien. Ou faites une référence à votre club de football préféré comme une copine à moi. Ou faites des références à votre film fétiche dans votre présentation... Il y a un million de façons d'être soi-même et de se montrer vulnérable sur scène, trouvez la vôtre.

Deux chiennes sont sur un lit. A gauche, une croisée border collie toute noire est sur le flanc. Son oeil vif regarde la caméra, plein d'espoir de quelques papouilles. A droite, une petite chienne noire de type lévrier est roulée en boule et nous tourne le dos, dormant profondément.
Et puis bon, partagez des photos de vos animaux quand même !

  1. Ici je peux faire des notes de bas de page... Et donc j'en profite pour vous rappeler que tous les domaines ont leur technique. Et que faire une conférence sociale c'est aussi faire une conférence technique.  

  2. Mais c'est rare, j'en ai en général plutôt trop. Je suis bavarde, j'y peux rien...  

  3. Bien sûr c'est aussi important éthiquement d'y penser, mais c'est un sujet qui demanderait un article en lui-même. 

  4. J'ai écrit un article plus détaillé sur cette anecdote qui est plus compliquée que ça : Validisme Contre Validisme 

Il n’est plus possible de laisser un commentaire sur les articles mais la discussion continue sur les réseaux sociaux :