Intégrer les neurodivergences et les maladies chroniques pour un numérique inclusif
Pourquoi un numérique inclusif ?
Le numérique occupe aujourd'hui une place centrale dans nos vies. Pourtant ses interfaces et services sont trop souvent conçus pour une majorité, laissant en marge des millions de personnes vivant avec des maladies chroniques ou des neurodivergences.
Ces situations, loin d’être exceptionnelles, touchent une diversité de profils : des professionnelles jonglant avec l’endométriose, aux personnes atteintes de troubles de l’attention (TDAH), confrontées à des parcours numériques inadaptés. Pour ces individus, le numérique, censé simplifier la vie, devient fréquemment un obstacle supplémentaire.
C’est dans ce contexte qu’est né l’atelier Tous·tes Ensemble. Résultat d’une collaboration entre designers et personnes engagées, cet atelier illustre la persévérance nécessaire pour promouvoir l’inclusion et l’accessibilité dans le numérique. En 2024, il a été enrichi par une recherche-action menée avec Designers Éthiques, une organisation œuvrant pour un design responsable. Ensemble, des thématiques comme la précarité, l’endométriose et l’autisme ont été explorées, offrant des pistes nouvelles et concrètes.
L’atelier repose sur trois axes fondamentaux :
- Comprendre les défis : explorer les réalités des personnes vulnérables grâce à des outils immersifs comme les cartes de vulnérabilités ou les témoignages.
- Passer à l’action : identifier des obstacles dans les parcours numériques et proposer des solutions concrètes.
- Promouvoir une inclusion durable : faire de l’inclusion un réflexe dans toutes les pratiques de conception.
Neurodivergences et maladies chroniques : des défis aux opportunités
Concevoir des interfaces numériques en tenant compte des maladies chroniques ou des neurodivergences peut sembler complexe. Pourtant, ces spécificités offrent une occasion unique de repenser nos méthodes pour concevoir des solutions universelles.
Prenons l’exemple du TDAH : pour réduire la surcharge cognitive, les interfaces doivent être claires, les informations hiérarchisées et les parcours simplifiés. Ces ajustements, loin de ne bénéficier qu’aux personnes concernées, profitent aussi aux novices ou aux utilisateurices sous pression.
De plus, cette approche sensibilise les équipes techniques et de design à une diversité d’usages. Écouter les témoignages des personnes concernées transforme les produits numériques, mais aussi la culture des équipes, instaurant une approche plus humaine et inclusive.
Cas concrets et apprentissages des ateliers
Les éditions récentes de Tous·tes Ensemble ont permis d’explorer des exemples concrets, révélant comment des outils numériques peuvent être repensés pour inclure les personnes vivant avec des maladies chroniques ou des neurodivergences.
Endométriose : Adapter l’outil Monday au quotidien professionnel
Les personnes vivant avec l’endométriose doivent composer avec des douleurs chroniques et une énergie fluctuante, rendant parfois difficile la gestion d’un emploi du temps rigide. Monday, un outil collaboratif conçu pour simplifier les processus de travail et offrir une visibilité accrue au sein des équipes, permet de prendre des décisions stratégiques fiables. Toutefois, il ne prend pas toujours en compte les besoins spécifiques de ces utilisatrices.
Pour répondre à ces défis, plusieurs solutions ont été envisagées :
- Personnalisation des tâches : offrir la possibilité de répartir le travail selon les capacités du moment, permettant une flexibilité précieuse.
- Rappels flexibles : intégrer des rappels qui laissent place aux imprévus, réduisant ainsi la pression liée aux échéances strictes.
- Mode "jour difficile" : introduire une fonctionnalité qui ajuste automatiquement les priorités et notifications, limitant la surcharge mentale les jours où l’énergie est plus basse.
Ces ajustements démontrent qu’une interface flexible, comme celle proposée pour Monday, ne profite pas uniquement aux personnes concernées par l’endométriose. Elle devient également un atout pour toutes les équipes souhaitant travailler de manière fluide et efficace dans un quotidien parfois imprévisible.
TDAH : Voyager sereinement avec OUIGO
Voyager en train avec OUIGO, la filiale low-cost de la SNCF, peut être une expérience accessible et économique pour beaucoup, mais elle devient un véritable défi pour les personnes vivant avec un trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).
Dès la planification et la réservation, les difficultés apparaissent : gérer les échéances nécessaires pour bénéficier des meilleurs tarifs demande une organisation rigoureuse, souvent entravée par des oublis fréquents ou des problèmes de mémorisation et de gestion d’informations essentielles comme les mots de passe ou les horaires.
Pour répondre à ces besoins, plusieurs solutions ont été explorées :
- Une interface simplifiée et claire : prioriser les informations essentielles sur le site ou l’application Ouigo, comme l’horaire du train, le numéro de quai et les informations relatives à l’accès à bord. L’idée est de minimiser les distractions et la surcharge d’informations inutiles.
- Itinéraires visuels pas-à-pas : proposer une fonctionnalité de navigation détaillée, guidant les utilisateurices depuis leur arrivée à la gare jusqu’à leur siège. Cela pourrait inclure des cartes interactives indiquant le chemin à suivre, des étapes claires (ex. : "passer le contrôle des billets", "se diriger vers le quai 5"), et même des notifications lorsque des étapes importantes approchent.
- Des rappels précis et non intrusifs : mettre en place des notifications adaptées rappelant des éléments critiques (ex. : l’heure d’arrivée recommandée à la gare, le quai attribué ou le départ imminent du train). Ces rappels, paramétrables pour éviter une avalanche de notifications, réduisent le risque d’oublis et d’anxiété.
Autisme : Slack et l’intégration en milieu professionnel
Pour les personnes autistes, naviguer dans un environnement de travail numérique tel que Slack peut être une source de surcharge sensorielle et cognitive. Slack, plateforme collaborative incontournable dans de nombreuses entreprises, facilite les échanges grâce à des canaux thématiques, des discussions directes et des intégrations variées. Cependant, son interface riche en fonctionnalités et souvent dynamique, peut générer une surcharge d’informations, des distractions visuelles et des attentes implicites complexes à déchiffrer.
Pour répondre à ces besoins spécifiques, plusieurs solutions ont été explorées :
- Une interface simplifiée et apaisée : permettre la personnalisation de l’affichage pour réduire la surcharge sensorielle. Cela inclurait des options pour désactiver les animations (comme les GIFs ou les émojis animés), appliquer un thème visuel apaisant avec des couleurs neutres et masquer les éléments non essentiels.
- Organisation claire des canaux : structurer les canaux de discussion de manière logique et intuitive, avec des objectifs clairement définis pour chacun. Cela éviterait une navigation confuse et permettrait de masquer les canaux non pertinents, réduisant ainsi les informations inutiles.
- Messages simplifiés et explicites : adopter des formulations directes et accessibles, en évitant les métaphores, expressions idiomatiques ou phrases ambiguës. Des messages clairs et concis aideraient les utilisateurices à comprendre et à interagir sans stress supplémentaire.
- Guides et repères sociaux intégrés : inclure des didacticiels ou outils d’accompagnement, expliquant progressivement les fonctionnalités et les normes sociales implicites de l’espace de travail Slack. Ces repères permettraient aux utilisateurices autistes de se sentir à l’aise et d’interagir en toute confiance.
Ces ajustements visent à transformer Slack en un espace numérique inclusif, bénéfique non seulement pour les personnes autistes, mais également pour toute personne confrontée à des préférences ou besoins spécifiques. En rendant l’expérience collaborative plus fluide, accessible et apaisante, ces solutions amélioreraient non seulement le confort individuel, mais aussi la productivité collective des équipes.
Leçons et vision pour un numérique inclusif
Les expériences issues de l’atelier montrent l’importance de considérer l’inclusion dès les phases initiales de conception. Il ne s’agit pas seulement d’accessibilité, mais d’un levier pour créer des produits plus innovants et universels.
Pour faire avancer l’inclusion dans le numérique, il est essentiel de s’immerger dans les réalités vécues par les utilisateurices. Observer leurs interactions avec les outils numériques, écouter leurs témoignages et tester avec des publics diversifiés, permet de garantir que les solutions proposées répondent réellement à leurs besoins. Cette démarche peut être enrichie par des collaborations avec des associations spécialisées, ce qui permet d’identifier des besoins souvent invisibles aux équipes de conception.
Un design flexible et personnalisable, offrant des modes adaptés aux préférences et contraintes des utilisateurices, constitue également une clé majeure pour enrichir l’expérience utilisateur tout en la rendant plus inclusive.
L’avenir du numérique inclusif repose sur l’adoption de standards inclusifs dans toutes les entreprises. Cela implique de diffuser des méthodologies éprouvées pour former des équipes sensibilisées aux enjeux d’accessibilité et d’inclusion. Il s’agit également de faire de l’inclusion une priorité éthique et stratégique, démontrant que des solutions pensées pour tou·te·s peuvent à la fois transformer la vie des utilisateurices et favoriser l’innovation et la performance.
Conclusion
Concevoir un numérique inclusif est une démarche exigeante qui nécessite un engagement collectif et une volonté de transformer nos pratiques pas à pas. Les leçons tirées de l’atelier Tous·tes Ensemble illustrent à quel point le design peut être un levier puissant pour promouvoir l’inclusion. En intégrant les vécus des personnes concernées, en testant avec des publics diversifiés et en développant des fonctionnalités flexibles et personnalisables, nous pouvons imaginer des expériences numériques universelles, où chaque utilisateurice se sent compris·e et soutenu·e.
Les cas explorés dans cet atelier montrent qu’avec une vision inclusive, il est possible d’aller bien au-delà des solutions actuelles pour redéfinir la conception du numérique. Cependant, cette réflexion ne devrait pas se limiter à des initiatives spécifiques ou ponctuelles : elle devrait s’élargir et s’inscrire dans toutes les équipes produits. En intégrant cette perspective dès les premières phases de conception, nous pouvons transformer non seulement les outils, mais aussi la culture des entreprises, en favorisant des pratiques où l’inclusion devient une évidence.
Un immense merci à Anne-Sophie Tranchet, Pascal Courtois , Candice Larmangeat et Stéphanie Vachon, ainsi qu’à toutes les personnes ayant participé aux ateliers ou partagé leurs témoignages. Ces récits authentiques et souvent poignants ont enrichi la méthodologie, rendant l’expérience immersive et profondément humaine.
Cette démarche dépasse un simple exercice de sensibilisation. Elle est une invitation à intégrer ces pratiques inclusives dans chaque projet numérique. Ensemble, nous avons le pouvoir de construire un numérique qui reflète véritablement la diversité humaine et crée un impact positif et durable pour tou·te·s.
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