« Avez-vous pensé à iel ? » ou l’impact de l’écriture inclusive sur les personnes dyslexiques

Avez-vous pensé à iel ?

C’est en partageant nos dernières écoutes de podcasts avec un ami que le sujet est arrivé sur la table. Nous constatons de plus en plus l’emploi de mots tels que « toustes », « auditeurices », « auteurices », etc. Si, la première fois que je les ai entendus, j’ai pu être quelque peu surprise, l’habitude fait désormais que cela n’a plus aucun impact sur mon écoute, si tant est qu’il y en ait eu un finalement. Je veux dire par là que mon attention s’est portée dessus parce que c’était nouveau pour moi. J’ai trouvé cela intéressant lorsque mon ami, qui a des troubles DYS, notamment la dyslexie, m’a dit avoir plus de difficultés à lire ces mots. Ce qui affecte quelque peu sa vitesse de compréhension à l’écrit, plutôt qu’à l’oral dans le cadre d’un podcast. Je précise qu’il s’agit ici du retour d'une seule personne, l'impact que ces terminaisons ont sur lui ne sera donc pas nécessairement le même pour toutes et tous.

C’est vrai, tout ce qui est nouveau (bien que, rappelons-le, parler inclusif ou écrire inclusif existe depuis plus d’un demi-siècle) nécessite une adaptation. Chaque nouveau mode de communication ou chaque évolution linguistique implique généralement un temps d’appropriation. Souvenez-vous, à l’époque des SMS limités à 140 caractères, nous avons vu éclore une forme d’écriture abrégée pour maximiser le contenu tout en respectant les contraintes. Il suffisait de dépasser d’un seul caractère et on se voyait facturé d’un crédit supplémentaire.

Cette évolution dans la communication illustre comment la langue s'ajuste aux besoins des personnes qui l'utilisent, entraînant parfois des réactions variées allant de l'acceptation à la résistance. J’ai donc voulu m'intéresser de plus près à l’impact, s'il y en a un, de l’écriture inclusive sur les personnes dyslexiques. Mais avant toute chose, j’ai à cœur de préciser que je ne me positionne ni contre ni pour et, surtout, que je ne récupère pas un handicap pour m’opposer à l’écriture inclusive, loin de là !

Dis Jamy, peux-tu rappeler ce qu’est l’écriture inclusive ?

Bien sûr, cher·es lecteur·rices !

L’écriture inclusive est un ensemble de pratiques linguistiques visant à rendre la langue française plus égalitaire et représentative, en réduisant les biais liés au genre, qu’ils soient masculins ou féminins. En résumé, il s’agit de cesser de tout masculiniser et d’invisibiliser les femmes ainsi que les personnes non-binaires. D’ailleurs, c’est l’occasion de faire un saut dans l’histoire pour comprendre comment nous en sommes arrivés là. Car oui, cette question remonte à bien plus loin que ce que nos professeur·es en classe préparatoire ont pu nous enseigner, notamment lorsqu’ils affirmaient que : « le masculin l’emporte sur le féminin ». Cette fameuse règle controversée du « le masculin l’emporte sur le féminin » a été formalisée au XVIIe siècle par les grammairiens de l'Académie française. À cette époque, les linguistes ont décidé que le masculin serait le genre dominant, expliquant ce choix par l'idée que le masculin est « plus noble » que le féminin… (emploi voulu des trois petits points pour exprimer mon scepticisme !).

Les grammairiens, notamment Claude Favre de Vaugelas, ont ainsi travaillé à fixer la langue française en s'appuyant sur des principes reflétant les normes sociales dominantes, des normes, somme toute, très patriarcales. Nous ne te remercions pas Claude !

Ce choix a notamment fait disparaître l’accord de proximité qui était utilisé dans le français médiéval et qui consistait à accorder le mot avec le genre du sujet le plus proche (par exemple : « Les lecteurs et lectrices sont captivées par ce super article »).

L’écriture inclusive n'est donc pas limitée à l’utilisation du point médian ?

Hé non, lectrices et lecteurs, lecteurices ou encore vous, personnes qui lisez cet article ! Voyons de plus près les différentes formes que l’écriture inclusive peut prendre :

  • L’usage des deux genres, en utilisant à la fois le féminin et le masculin (par exemple : lecteurs et lectrices). Il se pose toutefois ici la question de la non-binarité.
  • La féminisation des mots, pour désigner des fonctions et des métiers qui étaient traditionnellement masculinisés en français (par exemple : professeure pour désigner une femme).
  • Les termes épicènes, qui sont des termes ne marquant pas le genre (par exemple : responsable de projet numérique et non chef de projet numérique).
  • La formulation neutre et englobante, qui évite également de marquer le genre (par exemple : personnes qui sont en train de lire cet article).
  • Et enfin, l’utilisation donc de ce fameux point médian (ou point du milieu), qui est une des pratiques les plus répandues aujourd'hui ( par exemple : tou·tes les salarié·es).

Maintenant que les bases sont posées, intéressons-nous à cette question : « Avez-vous pensé à iel ? » L’écriture inclusive a-t-elle un impact sur les personnes dyslexiques ? Si oui, concerne-t-elle toutes les formes de l’écriture inclusive ?

Au fil des échanges que j’ai eus dans le cadre de la rédaction de cet article avec des personnes dyslexiques, j’ai pu m’apercevoir que, bien qu’il puisse y avoir des difficultés de compréhension, elles ne concernent pas toutes les formes de l’écriture inclusive.

Rappelons ce qu’est la dyslexie

Voici une définition qui provient du site de la FFDYS (Fédération française des DYS).

Il s’agit d’une altération spécifique et significative de la lecture (dyslexie) et/ou de la production d’écrit et de l’orthographe (dysorthographie).

Ces troubles apparaissent dès les premiers moments de l’apprentissage sous la forme d’une difficulté à maîtriser le stade dit alphabétique de l’apprentissage de la lecture.

Au stade suivant, le trouble se manifeste par une incapacité à mémoriser la forme visuelle des mots et à les reconnaître globalement (stade orthographique). Ceci entraîne une lecture généralement hésitante, ralentie, émaillée d’erreurs, qui exige pourtant beaucoup d’efforts. L’orthographe, qui normalement se développe au fur et à mesure que s’automatise la reconnaissance globale des mots, est touchée.

La déficience liée à la dyslexie est d’intensité variable selon les individus. Elle peut être accompagnée de troubles du calcul, de la coordination motrice (et en particulier du graphisme) ou de troubles de l’attention, avec ou sans hyperactivité.

Analyse des difficultés potentielles que l’écriture inclusive pourrait engendrer pour les personnes dyslexiques (s'il y en a)

Comme vous l'avez sûrement remarqué, j’aime toujours préciser « s'il y en a », car sans une étude approfondie, solide et avec un panel représentatif et large, il est impossible d'affirmer quoi que ce soit.

Malgré ma volonté de réaliser une étude approfondie, je n'ai pas réuni le nombre de participantes et participants souhaité. Mon objectif était de rassembler des personnes de tous les âges, avec ou sans dyslexie, afin d’obtenir une vision représentative et équilibrée. Cependant, avec des moyens limités et un délai restreint, j’ai rapidement constaté la difficulté de mener une telle enquête. En conséquence, je ne dispose que de quelques retours intéressants, mais pas suffisants pour tirer une conclusion solide et robuste à ce stade. Mais ne partez pas ! Le sujet reste passionnant et j’aimerais partager avec vous les témoignages que j’ai récoltés.

Première étape de l’étude, les questions !

Pas de réponse sans questions. Alors afin de pouvoir réunir des éléments de réponse, j’ai partagé un formulaire numérique sur mes réseaux et j’en profite pour remercier Rémi de l’association Dyslexiques de France qui a très gentiment accepté de relayer mon questionnaire aux membres.

L’objectif était de répondre à ces questions :

  • Quelles sont les difficultés, s’il y en a, que peut engendrer l’écriture inclusive sur les personnes dyslexiques ?
  • A-t-elle un impact sur la vitesse de lecture ?
  • Existe-t-il des solutions pour pallier ces éventuelles difficultés ?

1. L’échantillon

Comme indiqué, je n'ai pas réuni le nombre de participantes et participants souhaité. L'étude a donc été menée auprès d'un petit échantillon de personnes (11 au total), dont les âges varient de 27 à 58 ans. Toutes et tous ont répondu à un questionnaire composé de plusieurs questions. J'ai également glissé un texte écrit en écriture inclusive, suivi de questions.

2. Les résultats

Âge et types de dyslexie des participants

Les participantes et participants ont des âges variés, allant de 27 à 58 ans, et présentant différentes formes de dyslexie : dyslexie de surface, dyslexie mixte/profonde et dyslexie visuo-attentionnelle. Ces différences peuvent influencer la manière dont les individus perçoivent et traitent l'écriture inclusive.

Utilisation d'outils de lecture adaptés

Lorsque je leur ai demandé s'ils utilisaient des outils spécifiques pour la lecture, la majorité des répondants n'en utilisaient pas. Seule une personne utilise un lecteur d'écran et des polices adaptées. Toutefois, certains ont mentionné des solutions personnelles comme l'utilisation de ChatGPT, pour reformuler des phrases et aider à la compréhension des textes. Aussi, une personne a souligné avoir besoin d'un soupçon de malice.

Familiarité avec l'écriture inclusive

La plupart des répondants n'avaient pas l'habitude de rencontrer de l'écriture inclusive dans leurs lectures. On peut alors relever que l'écriture inclusive, bien qu'elle se démocratise, n'est pas encore ancrée dans nos usages. Ceux qui en avaient rencontré ont exprimé des avis partagés. Certains ont souligné que l'écriture inclusive rendait la lecture plus complexe et moins fluide, tandis que d'autres ont indiqué que cela ne posait pas de problème majeur.

Gêne et difficultés rencontrées

Lorsque je leur ai demandé si l'écriture inclusive leur avait causé des difficultés lors de la lecture, les réponses ont montré une large variation comme indiqué précédemment. Certaines personnes ont signalé une gêne importante, notamment en raison de la lenteur de la lecture et de la nécessité de se concentrer davantage pour comprendre le texte. D'autres ont trouvé l'expérience plus fluide, avec peu ou pas de difficulté. Je tiens à souligner que j'ai volontairement ajouté un texte écrit en écriture inclusive comportant un nombre important de formulations inclusives utilisant le point médian et des formulations neutres.

Impact de l'écriture inclusive sur la compréhension et la vitesse de lecture

Les résultats concernant la compréhension étaient également partagés. Certains participants ont déclaré n'avoir rencontré aucune difficulté, tandis que d'autres ont évoqué des problèmes de compréhension, notamment à cause de la complexité des accords de genre et des formes de mots. En ce qui concerne la vitesse de lecture, la moitié des participantes et participants, soit très exactement 50 %, ont ressenti une lenteur accrue.

Remarques supplémentaires des personnes interrogées

Les suggestions pour améliorer l'accessibilité de l'écriture inclusive aux personnes dyslexiques incluent l'idée de réduire l’usage des points médians, de favoriser l’emploi du genre neutre ainsi que des formulations englobantes et d'utiliser des polices d’écriture adaptées (ici par exemple, écrire « des personnes interrogées » plutôt que « participantes et participants » a aussi pour effet d'alléger la phrase).

3. Conclusion de ce questionnaire

En conclusion, l'écriture inclusive a un impact variable sur les personnes dyslexiques et, à ce stade, rien ne me permet d'affirmer qu’elle n’a pas le même impact sur les personnes non dyslexiques. Tandis qu'elle peut être bénéfique pour la représentation des genres, elle peut également rendre la lecture et la compréhension du texte plus difficiles pour certaines personnes.

Alors, que faut-il retenir concrètement ?

Je crois que tout est une question d’usage et d’habitude. La langue française évolue, et c’est la récurrence de l’emploi qui en fera une norme d’usage. Une participante à ce questionnaire a répondu à la question « L'écriture inclusive a-t-elle un impact significatif dans vos lectures ? » par « Oui, tout de même, ça rend la lecture sensiblement moins fluide. Manque d'habitude, certainement… » Souligner ce manque d’habitude me semble intéressant.

Remettre en question quatre siècles de croyances et d'usages, reposant sur la règle du « le masculin l'emporte sur le féminin », n'est pas chose aisée.

Ainsi, je ne peux pas vraiment affirmer que l’écriture inclusive a un réel impact sur les personnes dyslexiques. J’aimerais cependant pouvoir mener une enquête plus robuste à ce sujet. Toutefois, il est sûr que des personnes rencontreront des difficultés et d’autres non.

Normaliser l’écriture inclusive, ne plus en faire un sujet de débat et surtout établir des normes d’usage permettrait d’en limiter les effets négatifs.

À l’époque des SMS, j’aurais certainement dépassé près de vingt fois le nombre de caractères autorisés et n'aurais déjà « plus de crédit ». Mais aujourd’hui, j’ai la possibilité d’écrire en toutes lettres et sans abus d’abréviations. Alors, même si je ne peux pas donner une conclusion définitive, il est plaisant de voir la langue française évoluer, gommer les inégalités et représenter toutes les identités de genre. Rien que pour ça, je pense donc que : oui, nous pensons à iel.

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