L’écoconception, c’est les autres

Les inquiétudes sur les impacts environnementaux et sociétaux du numérique sont de plus en plus présentes. En particulier, les impacts des sites web sont questionnés. Il paraît donc logique que l’on croise de plus en plus de sites annoncés comme écoconçus.

Récemment, un site français de presse en ligne affirmait avoir réduit son empreinte numérique. Le bon vieux réflexe consiste alors à ouvrir l’onglet Réseau des outils de développeur de son navigateur préféré.

Extrait des requêtes HTTP liées au chargement d'un exemple de page
Extrait de l’onglet Réseau des outils de développeurs d’un navigateur

36 requêtes, autour de 1 Mo transférés… ça pourrait être pire mais c’est déjà pas mal. En tout cas, déjà mieux que ce que l’on peut voir sur la plupart des sites de presse en ligne (voir à ce sujet l’étude menée par Greenspector).

Sauf que ça ne s’arrête pas là !

Candide, vous avez peut-être visité ce site pour lire les actualités. Il vous faudra alors vous pencher sur la fenêtre de consentement pour les cookies. Si on part du principe que vous les acceptez tous (encore une fois dans l’optique d’accéder aux actualités), vous constatez qu’il se passe quelque chose au niveau des requêtes. Encore plus de requêtes (en particulier des services tiers) et de données transférées. C’est ce qu’on constate dans le tableau suivant. Si le nombre de requêtes first-party (celles liées au site proprement dit) augmente légèrement, le nombre de requêtes third-party (en provenance d’autres sites) est multiplié par plus de vingt, de même que le volume de données transférées.

Nombre et taille des requêtes avant et après acceptation des cookies avec une augmentation conséquente dans le second cas
Comparaison des requêtes avant et après acceptation des cookies avec un outil de comparaison

Observons une minute de silence pour les outils de « mesure » de pages web qui ne valident pas les cookies et passent ainsi à côté du sujet.

Mais revenons en arrière.

L’écoconception web depuis le début

Au cours des années 2000, la prise de conscience des impacts environnementaux du numérique prend de l’ampleur, en particulier en France. L’attention porte alors principalement sur le web et des outils de sensibilisation grand public voient le jour (EcoIndex, EcoMeter, etc.) ainsi que des référentiels de bonnes pratiques (les 115 bonnes pratiques du collectif GreenIT).

C’est un bon début, mais ça ne suffit pas, car on reste surtout sur de l’optimisation avec une vision tronquée des impacts d’un service numérique. Ce service est d’ailleurs limité ici à la notion de site, voire de page web.

Interlude : si vous venez de découvrir les impacts environnementaux du numérique voire du Numérique Responsable, voici quelques ressources vous permettant d’aller plus loin :

Nous parlions donc des années 2000 mais où en sommes-nous aujourd’hui ?

Les 115 bonnes pratiques du collectif GreenIT sont toujours là (quatrième édition) et ont été rejointes par d’autres référentiels :

  • Le GR491 (Guide de référence de conception responsable services numériques) de l’INR
  • Les WSG (Web Sustainability Guidelines) proposées par le W3C (World Wide Web Consortium)
  • Le RGESN (Référentiel Général d’écoconception des services numériques), appelé à devenir la référence pour l’adoption de l’écoconception de services numériques dans les structures publiques en 2024.

Sur ce dernier point d’ailleurs, on notera que le contexte législatif avance (voir à ce sujet l’article sur le blog de Greenspector).

De leur côté, les outils de mesure pour les pages web se multiplient. En dehors du web, ils se font tout de suite beaucoup plus rares.

Et il manque toujours un référentiel de compétences qui permettrait d’avoir des parcours de formation réellement certifiants.

Sans compter les grandes entreprises qui multiplient les promesses à coup de « Net zero », « neutralité carbone » voire « négativité carbone ». Et les outils qui vous proposent de réduire les émissions de gaz à effet de serre de votre code grâce à l’intelligence artificielle. Bref, tout va pour le mieux.

Ou pas.

Quand l’écoconception tourne mal

Voici quelques éléments à garder en tête avant d’envisager l’écoconception :

  • Si vous cherchez à écoconcevoir un service numérique déjà en production, vous vous y prenez trop tard. C’est comme pour les bugs : le plus tôt c’est pris, le moins coûteux ce sera. Sans compter que ce n’est pas forcément le moment idéal pour revoir la conception ou questionner le besoin utilisateur. Bref, c’est trop tard. Et gérer dynamiquement l’allocation de la puissance de calcul en fonction du mix énergétique ne résoudra pas le problème (vous réduirez peut-être les émissions de gaz à effet de serre mais pas forcément la consommation d’eau, sans compter les soucis de souveraineté).
  • Si vous vous concentrez sur quelques pages d’un site sans tenir compte du cache, des cookies ou en vous contentant de charger la page, vous loupez la cible.
  • Si vous ne récoltez que les données transférées, le nombre de requêtes et la taille du DOM (Document Object Model), vous n’avez pas une vision complète de l’impact de la page (ou du parcours) sur le terminal utilisateur. Encore loupé.
  • Si vous n’avez qu’un seul indicateur environnemental, vous risquez des transferts d’impact en plus de passer à côté d’une belle occasion de sensibiliser aux divers impacts du numérique. Pensez criticité des ressources minérales et stress hydrique.

Enfin, une petite liste de ce qu’il ne faut pas faire :

  • Optimiser des fonctionnalités non utilisées.
  • Produire un site de contenu léger mais sans tenir compte de la sobriété éditoriale.
  • Utiliser des outils et bibliothèques de développement surdimensionnés.
  • Écoconcevoir un service numérique dont la finalité est écocide.
  • Optimiser un service numérique inutilisable (au sens de l’accessibilité numérique).

Vous en êtes à vous demander si vous faites bien de l’écoconception de service numérique ?

Voici un petit quizz en ligne pour aborder la question différemment.

Reprenons donc les bases pour être sûrs de parler de la même chose.

Définitions

Les différentes définitions disponibles peuvent être synthétisées de la façon suivante :

Service numérique = ensemble de ressources humaines, logicielles et matérielles nécessaires à la mise à disposition d’un service.

Écoconception = démarche d’intégration de la réduction des impacts environnementaux dès la conception d’un service numérique avec une vision globale sur l’ensemble du cycle de vie, via l’amélioration continue.

On distinguera en général 4 niveaux d’écoconception et on s’aperçoit que la plupart des efforts d’optimisation ne sont qu’une partie du premier niveau. Bref, on se cantonne à l’innovation du produit quand c’est sur le système qu’il faudrait innover. Voir à ce propos le site du pôle écoconception.

La démarche d’écoconception nécessite d’impliquer tout le monde, lors de toutes les étapes du projet (et au plus tôt).

Différentes étapes du cycle de vie d'un projet numérique : collecte des besoins et analyse, conception, implémentation et codage, intégration et tests, installation et déploiement, maintenance et fin de vie.
Cycle de vie d’un service numérique (source : Marie Chevallier, 2021)

OK mais comment ? Commençons par nous intéresser à deux approches que l’on oppose parfois : pilotage par les mesures ou pilotage par les bonnes pratiques.

Mettre en place une démarche d’écoconception

Il y a tout d’abord plusieurs bonnes raisons de mesurer :

  • Comparaison dans le temps.
  • Pilotage des dégradations et améliorations.
  • Comparaison avec les autres (services numériques d’une même entité ou services numériques similaires).
  • Projections fiabilisées.
  • Évaluation des impacts environnementaux.

Encore faut-il savoir ce que l’on mesure :

  • Quelle dynamique ? Pages, parcours, composants…
  • Quelles métriques ? CPU, données transférées, énergie, requêtes…

Ce qui implique de s’imposer un budget environnemental avec deux approches possibles : des seuils à ne pas dépasser (ne pas trop dégrader les impacts) ou (de préférence) des cibles dans le cadre de la démarche d’amélioration continue.

Les mesures pourront vous aider à arbitrer certains choix techniques en amont mais aussi à évaluer les gains (ou dégradations) suite au décommissionnement d’une fonctionnalité ou à la mise en œuvre d’une bonne pratique.

Enfin, si les mesures sont un outil indispensable dans une optique d’amélioration continue, les bonnes pratiques sont précieuses pour s’améliorer.

Pour cela, on distingue principalement le GR491 (très complet et transverse) et surtout le RGESN (qui couvre l’ensemble du cycle de vie du projet avec une approche très orientée pratique). Avec l’évolution du contexte législatif prévue pour les structures publiques courant 2024, il y a fort à parier que le RGESN va bientôt arriver sur le devant de la scène.

Ainsi, mesures et bonnes pratiques sont indissociables.

Limites de la démarche d’écoconception

Nous avons donc vu qu’une véritable démarche d’écoconception nécessitait d’aller très loin et de remettre beaucoup de choses en question. Ce n’est évidemment pas simple.

Il faut déjà garder en tête qu’on est bien ici sur une démarche d’amélioration continue : tout ne sera pas parfait du jour au lendemain mais il faudra chercher à faire toujours mieux.

De plus, on peut parfois reprocher à la démarche d’écoconception de s’appuyer sur des éléments purement déclaratifs (« oui, nous avons fait de la recherche utilisateur et optimisé le code »). Certains se contentent d’ailleurs de communiquer uniquement sur le résultat final et de façon plutôt floue (« mon produit est écoconçu ou le fruit d’une démarche d’écoconception », « mon produit a des impacts environnementaux réduits », etc.).

L’une des clés ici est le RGESN. En plus de donner des recommandations sur l’ensemble du cycle de vie du projet, la nouvelle version du référentiel impose des éléments de preuve qui vont souvent au-delà du déclaratif. Ces éléments aident à structurer la démarche en imposant des livrables qui vont venir questionner les choix effectués lors du projet. Dans l’idéal, l’audit qui s’appuie sur le RGESN donne donc lieu à une déclaration d’écoconception mais aussi à des éléments de preuves ainsi qu’à un plan d’amélioration pluri-annuel.

Pour revenir aux niveaux d’écoconception (voir plus haut), ce qui se limite au niveau 1 n’est pas vraiment de l’écoconception car tout peut très bien reposer uniquement sur l’équipe de développement. Il faut donc aller au-delà (dans l’idéal jusqu’au niveau 4) et pouvoir le prouver. Réunir ces preuves et témoigner sur la manière dont est menée la démarche permettent de communiquer plus facilement. Ainsi, on limite les risques de greenwashing et on sensibilise plus largement sur la démarche d’écoconception en « dédramatisant » le sujet et en ouvrant parfois de nouvelles pistes de réflexion.

Conclusion

L’écoconception de services numériques n’est pas un long fleuve tranquille, mais son application aux sites web est de mieux en mieux documentée. En attendant que les outils de mesure aient réussi à se mettre d’accord sur des indicateurs et méthodologies, rien n’empêche de les utiliser dans une optique d’amélioration continue. Le RGESN vous aidera à structurer votre démarche puis à explorer plus avant les sujets qui vous parlent le plus, par exemple Sustainable UX, optimisation de code, optimisation de l’hébergement, sobriété éditoriale et autres.

N’oubliez pas pour autant de prendre en compte le Numérique Responsable dans son ensemble. Ainsi, on ajoute aux aspects environnementaux des aspects sociétaux tels que l’accessibilité, la vie privée, l’inclusion, la sécurité, l’économie de l’attention et l’éthique. Gardez en tête que l’écoconception sans justice sociale se réduit à du greenwashing.

Et commencez par vous demander s’il est bel et bien nécessaire de numériser un service.

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