La clarté des textes, grande oubliée de l’accessibilité numérique
L’accessibilité numérique c’est d’abord un principe : que les contenus et services numériques soient utilisables par toutes et tous. Peu importe qui on est, d’où on se connecte, quelle machine ou dispositif on utilise. L’accessibilité numérique c’est aussi un ensemble de règles techniques pour rendre possible ce principe. Cet article est une alerte pour ne pas oublier une partie essentielle de l’accessibilité numérique : rédiger des textes clairs, faciles à comprendre pour le plus grand nombre.
Selon la dernière grande enquête de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), une personne sur six à l’âge adulte a des difficultés de lecture et de compréhension de l’information écrite1. Pourtant, il n’y a pas d’obligation légale à prendre en compte la clarté des textes des environnements numériques. Aussi, la clarté des textes est un axe peu présent dans les discussions et mobilisations autour de l’accessibilité numérique.
La clarté d’un texte c’est sa capacité à être compris facilement et rapidement par son lecteur. La clarté des textes dans l’accessibilité numérique c’est le fait d’adapter le niveau de langue des textes des environnements numériques pour qu’ils soient compris par le plus grand nombre.
Travailler sur la clarté des contenus textuels, c’est intégrer toute une dimension de la problématique d’accessibilité : aux biens, aux services, aux aides, à ses droits.
La clarté des textes c’est de l’accessibilité numérique
16% de personnes concernées en France
Les situations qui se cachent derrière les difficultés de lecture et de compréhension sont multiples :
- quand le français n’est pas la langue maternelle ;
- quand certains handicaps rendent difficile la compréhension de l’écrit ;
- quand évoluer dans une société en constant défaut d’accessibilité provoque une fatigabilité qui ne fait pas bon ménage avec les textes complexes ;
- quand le parcours scolaire est court ou difficile ;
- quand l’âge vient s’en mêler.
Rédiger clairement ce n’est pas prétendre couvrir ni résoudre toutes ces situations. C’est proposer un cadre pour permettre plus d’égalité devant l’information écrite, y compris dans les environnements numériques.
Qu’est ce qui rend un texte difficile à comprendre au juste ?
- Des mots complexes, peu utilisés dans la vie quotidienne ;
- des phrases trop longues, avec des constructions complexes et des informations qui s’empilent ;
- des formulations implicites où ce qui est évident pour la rédactrice ou le rédacteur ne l’est pas forcément pour sa lectrice ou son lecteur ;
- des textes sans structure ni titres pour guider la lecture ;
- des textes où les différents niveaux d’information ne sont pas dans l’ordre d’importance ;
- des textes où les informations les plus importantes n’apparaissent pas clairement ;
- etc.
Mais quel est le lien avec le numérique ?
D’abord, le Web est un espace où l’on vient consulter et lire de l’information.
Ensuite, beaucoup d’actions du quotidien passent aujourd’hui par des parcours et des documents en ligne :
- bénéficier d’une aide publique ;
- s’abonner à un forfait de téléphone ;
- acheter un billet de train ;
- ou prendre rendez-vous pour un vaccin…
Hier, il était possible de contourner l’écrit : téléphoner ou se déplacer au guichet par exemple. Ces stratégies sont aujourd’hui très difficiles, voire impossibles dans certains cas. Dans ce contexte du tout numérique, que se passe-t-il pour les personnes en difficulté avec l’écrit ?
En 2021, un tiers des adultes a renoncé à faire une démarche en ligne 2. Pire : « Si les trois quarts de ces personnes ont pu effectuer cette démarche d’une autre manière, un quart a renoncé définitivement à l’accomplir. » On peut raisonnablement penser que la complexité du jargon administratif fait aussi partie du problème.
En bref, les textes difficiles provoquent de l’exclusion et des inégalités. Et les environnements numériques c’est aussi du texte !
Les pouvoirs publics et les experts doivent se mobiliser pour plus d’égalité devant l’information écrite
Le niveau de langue est-il un critère officiel d’accessibilité en France ?
L’accessibilité numérique c’est un ensemble de principes à appliquer dès la conception d’un projet numérique (pour un site, une application, une borne d’affichage, etc.). Ces principes servent à faciliter la navigation des utilisateurs, peu importe leurs besoins. Peu importe aussi les dispositifs ou les technologies d’assistance par lesquels ils accèdent aux contenus et services en ligne.
Ces principes sont fixés par l’organisme international de standardisation du Web (W3C : World Wide Web Consortium) et regroupés dans les WCAG (Web Content Accessibility Guidelines), les directives pour l’accessibilité du Web. Ces recommandations évoluent régulièrement. Les critères liés à ces principes sont classés en trois niveaux de complexité : A, double A (AA) et triple A (AAA).
Il y a bien dans le WCAG un critère qui concerne le niveau de langue : c’est le critère 3.1.5 « Niveau de Langue« 3. Malgré son caractère essentiel souligné par le W3C, c’est un critère de niveau triple A (AAA). Cela s’explique notamment par le travail important à faire pour avoir un indice de niveau mesurable pour chaque langue.
En France, une partie de l’accessibilité numérique est encadrée par la loi. Son actualité la plus récente est le décret du 24 juillet 2019 et la publication de la version 4.1 du référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA) le 16 février 2021. Le référentiel ne reprend que les critères A et double A (AA). Le critère sur le niveau de langue n’y figure tout simplement pas.
Pourtant des méthodes existent
Le « facile à lire et à comprendre » ou « FALC » a été développé dans le cadre du projet européen Pathways 4 depuis 2009. Son objectif de départ est la création de textes simplifiés pour des personnes présentant des handicaps cognitifs dans le but d’accroître leur autonomie. On trouve de l’information adaptée en FALC sur le site du gouvernement « Information Coronavirus ». Pour y accéder, il faut cliquer sur l’onglet « Français simplifié »,
Le « plain language » (ou Langage Clair) est défini par la Fédération Internationale du Langage Clair ainsi : « Une communication est en Langage Clair si les mots et les phrases, la structure et la conception permettent au destinataire visé de facilement trouver, comprendre et utiliser l’information dont il a besoin« 5.
Au Royaume-Uni, c’est un niveau de langue qui doit être adopté par défaut sur les sites gouvernementaux. La Nouvelle-Zélande vient de légiférer dans le même sens pour les communications venant du gouvernement et des organismes publics.
En France, dès les années 2000, le Comité d’Orientation pour la Simplification du Langage Administratif (COSLA) a travaillé dans le même sens pour que les citoyens puissent avoir une communication accessible. Mais cette initiative ne s’est pas généralisée et n’a pas été intégrée dans les textes de loi.
Dans la mesure où il existe des ressources et des expertises, certaines règles issues de ces standards reconnus et utilisés doivent figurer dans le Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité. Elles doivent aussi s’intégrer dans tout projet d’accessibilité numérique.
L’indice chiffré de clarté des textes : un outil pour auditer et progresser
Des formules simples de mesure de clarté existent depuis longtemps pour la langue anglaise (par exemple la formule Flesch-Kincaid ou l’indice Fog existent depuis les années 1950). Les formules les plus simples ont été déclinées en langue française dès les années 1960.
Aujourd’hui, les travaux de recherche sur ces sujets progressent en France. Les avancées d’acteurs français permettent de disposer de formules beaucoup plus précises. L’indice chiffré de clarté des textes est important, car il permet d’objectiver ce critère du niveau de langue. À l’avenir, il pourrait être utilisé de la même façon qu’aujourd’hui on vérifie dans chaque page web les valeurs de contraste.
À l’écrit soyons clairs : quelques pistes et bonnes pratiques pour s’y mettre
Faire des phrases simples
En langue française, il est assez courant de faire des phrases qui n’en finissent pas. Et, en général, plus la phrase est longue, plus sa construction est complexe.
Faire l’effort de raccourcir ses phrases au maximum est donc une première bonne pratique de rédaction claire qui fait une grande différence !
Pour vous aider, vous pouvez adopter une règle simple : une idée par phrase.
Utiliser des mots clairs
Choisissez de préférence des termes qui :
- sont courts (« énorme » est plus simple que « gigantesque ») ;
- n’ont qu’un seul sens possible (« invité » ou « propriétaire » sont plus simples que « hôte », qui peut avoir les deux sens) ;
- sont fréquents et appartiennent au langage courant (« crème solaire » est plus simple que « écran solaire »).
Garder en tête l’objectif de votre texte
Par exemple, si le texte a un objectif pédagogique, vous pouvez donner une définition ou une explication simple d’un mot plutôt que de chercher à le remplacer.
Utiliser des synonymes, autrement dit désigner une même chose par des mots différents, se justifie pour un texte à visée littéraire. C’est à éviter si votre objectif est de limiter les incompréhensions à la lecture.
Organiser l’information
Avant de rédiger un texte, il est important de déterminer quelles sont les informations principales que l’on veut communiquer. Mettez ainsi les informations les plus importantes en premier (dans le texte comme dans un paragraphe), puis donnez les détails.
Chaque paragraphe, section ou sous-section d’un texte doit parler d’un aspect particulier du sujet principal, ou fournir des informations sur un seul sujet.
C’est pour cette raison que chaque mise à jour ou ajout, sur un article par exemple, implique nécessairement de reprendre le texte dans son ensemble. Il s’agit de vérifier, même rapidement, que ces principes sont toujours respectés.
Intégrer la clarté au plus tôt des projets
Pour finir, et comme pour toute démarche d’accessibilité numérique, il faut inclure la clarté des textes et de l’information écrite dès le début d’un projet.
S’interdire de pratiquer le « lorem ipsum » (c’est-à-dire mettre du texte provisoire sur la maquette d’un site) c’est s’obliger à des questionnements essentiels pour maximiser la clarté : à qui je m’adresse ? Pourquoi ? Qu’est-ce que je peux mettre en place pour faciliter la lecture et la compréhension ?
Conclusion
Le tout numérique, c’est beaucoup de lecture. Cela signifie que toute une partie de la population en difficulté avec l’écrit voit ses difficultés se renforcer.
D’abord, il y a l’effet double peine quand les difficultés à lire et à comprendre se combinent avec les difficultés d’accès aux outils voire aux compétences numériques.
De plus, il y a de moins en moins de solutions alternatives au numérique et à l’écrit (y compris pour faire valoir ses droits les plus fondamentaux).
Pour ne laisser personne de côté il faut intégrer la clarté des textes comme exigence forte et indispensable de l’accessibilité numérique.
2 commentaires sur cet article
Romy, le 12 décembre 2022 à 13:46
Merci pour cet article qui fait le point de façon claire et bien argumentée !
Anne-Sophie, le 24 décembre 2022 à 9:28
Merci pour cet article ! Travaillant dans le service public, je sais combien cet aspect là est oublié effectivement…
On est encore loin d’être mature sur le sujet, qu’il s’agisse de méthodologie ou d’outils. Mais le sujet est passionnant et mérite que l’on fasse mieux !
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