Idéer pour faire la courte-échelle à nos cerveaux
L’idéation, cet ensemble de méthodes pour ouvrir la voie aux solutions dont votre design a tant besoin. En ce qui me concerne, je considère les méthodes d’idéation comme l’un des piliers de mon rôle de designer. Elles m’ont éclairé plus d’une fois. Mieux, elles permettent aux différents acteurs d’un projet de bien mieux se comprendre et de converger efficacement au moment de DÉCIDER. Vous savez, ces fameux choix collégiaux, lourds de sens, qui vont impacter la suite du projet. Ceux parfois frustrants, ceux qui peuvent accoucher d’un consensus mou, qui finalement ne convient pleinement à personne. Ça vous parle non ?
Pour autant, je ne les ai pas toujours pratiquées. Ces méthodes ne sont presque pas abordées lors des études de design web. Les méthodes d’idéation ne sont donc pas intégrées au socle commun de tous les designers. À titre très personnel, je trouve ça assez dommage, mais « haut les cœurs », j’ai justement envie de vous parler aujourd’hui de ces méthodes, ce que j’en fais en tant que designer en agence et surtout d’aborder l’un des aspects les plus satisfaisants de mon job.
J’étais curieux à ce sujet, alors je vous ai posé la question :
Qu’est-ce que l’idéation concrètement ?
Je définirais les méthodes d’idéation comme un ensemble d’exercices plus ou moins ludiques qui vont permettre à un groupe de personnes de trouver une solution à un ou plusieurs de leurs problèmes de conception.
Ces méthodes, à l’image des méthodes UX par exemple, sont très nombreuses et même infinies. Il peut en émerger de nouvelles très régulièrement et je crois qu’il ne faut pas s’interdire d’en imaginer de toute pièce si le besoin s’en fait sentir sur un projet.
Se lancer dans leur pratique n’est pas complexe, il existe beaucoup de ressources en ligne ou dans des ouvrages sur le design pour commencer à s’y intéresser. De mon côté, j’associe cela à des échanges réguliers avec des UX Researchers à ce sujet, afin de dénicher de nouvelles méthodes ou améliorer la facilitation de ces ateliers. Comme beaucoup de choses, il faut se jeter à l’eau, expérimenter et améliorer les ateliers d’idéation au fil de l’eau.
Spoiler alert : Vous trouverez toujours une meilleure façon de faire à chaque fois, vous verrez.
Évidemment, si vous avez peur de vous lancer avec votre boss ou des clients sur une nouvelle méthode, c’est compréhensible. Vous trouverez néanmoins toujours un projet interne, associatif ou personnel qui permettra de vous faire la main. « Juste, fais-le » comme on dit. Sachez également qu’il est possible de recevoir des formations courtes (quelques jours) sur ce genre de pratique, ce qui peut grandement faciliter les choses.
Une occasion en or de donner à chacun la possibilité de s’exprimer
L’intérêt primaire de ces activités d’idéation est, à mon sens, de permettre à chacun de pouvoir prendre la parole lors des différents rassemblements de conception. Qu’ils sont nombreux ces ateliers où seul un tiers des participants sont actifs. Ces ateliers où les plus à l’aise en public, les plus « gradés » sont ceux qui monopolisent la parole. Pourtant les plus discrets ont eux aussi, c’est certain, des idées intéressantes à faire valoir. Les méthodes d’idéation permettent de partir à la découverte des « fausses mauvaises idées » que certains gardent bien secrètement au fond de leur cerveau, parfois sans même en avoir conscience. Les méthodes d’idéation sont en effet un très bon moyen de combattre, grâce aux autres acteurs de l’atelier, les stéréotypes que notre cerveau construit pour se faciliter le quotidien.
C’est pour cela que chaque atelier d’idéation devrait commencer par une prise de parole de chacun. Et pas juste : « Salut c’est Pierre-Louis, je suis responsable de la communication interne ». Une prise de parole plus engageante est souhaitable afin de prendre ses marques, s’affirmer comme participant à part entière. Pour ce faire, chaque atelier d’idéation devrait commencer par un Ice Breaker. Un brise-glace en bon français. Vous avez peut-être rencontré ce genre de pratiques dans les méthodes agiles ou UX. Ce genre d’exercice très court va permettre à chacun de s’exprimer une première fois via un mini-jeu collectif. Pour que cela fonctionne au mieux, je crois qu’il faut que le jeu soit en rapport avec le type d’exercice qui suivra, tout en étant suffisamment léger pour que les barrières sautent. Voici quelques exemples parmi les innombrables jeux qui peuvent exister :
L’association d’idée
Prenez un jeu de carte Dixit, demandez à chacun de choisir une carte dans ce jeu, autour d’une thématique commune, puis invitez chaque participant à expliquer son choix au groupe. Par exemple, en début de projet, je l’utilise pour demander à chacun d’exprimer ce qu’il s’imagine de l’atelier du jour. En fin d’atelier, cela peut servir à recueillir un retour d’expérience. Les cartes Dixit ne sont qu’un moyen de procéder à cet exercice. Je les aime beaucoup car elles sont « complexes » et peuvent évoquer beaucoup de choses. L’interprétation y est pour beaucoup et cela ouvre les esprits. L’association d’idées peut se faire également avec un titre de film qui représente son ressenti, un animal totem, des LEGO, ou que sais-je.
Deux mensonges, une vérité
Voilà un exercice amusant. Chacun va devoir secrètement écrire deux faits réels à propos de lui ainsi qu’un mensonge. Le jeu consistera à tenter de deviner ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas. C’est un exercice parfait pour débuter un atelier persona ou expérience map. Il révèle que les préjugés ne sont pas de bons alliés et amènent parfois à des erreurs grossières. Un échauffement qui donne le ton de la suite de la journée.
Évidemment, la prise de parole ne doit pas s’arrêter à ce mini-jeu collégial. Ce ne doit pas être un sparadrap pour avoir l’esprit tranquille quant au fait que chacun s’est bien exprimé. Tout bon exercice d’idéation doit favoriser l’intervention de chacun. C’est ce qui se passe lors d’ateliers Design Studio par exemple. Chaque participant ayant l’occasion de concevoir un ou plusieurs écrans à l’aide d’un papier et d’un crayon avant une mise en commun générale visant à aboutir à une solution à base de convergence des différentes pistes.
Définir son identité et poser les bases de l’UX writing
Il est un segment des projets qui peut parfois être un peu laissé de côté lors de la conception d’un produit ou service : son identité. Attention, je ne parle pas ici du logo et de la charte graphique qui ne sont qu’une partie de ce qui compose l’identité. Cette identité se compose aussi de ses valeurs, le ton qu’elle emploie, son vocabulaire, son caractère… Oui un peu comme une personne en fait. Nous ne sommes pas qu’un visage n’est-ce pas ?
Et puisque nous avons tous ces cerveaux à disposition en atelier, tirons avantage de leur présence pour rassembler des idées sur cette fameuse identité. Pour ce faire, là encore, il existe beaucoup de moyens. Voici deux de mes préférés :
Product box
Imaginez votre marque ou votre service comme une boîte de céréales dans un rayon ou tous ses concurrents sont également sous la forme de boîte de céréales. Comment feriez-vous pour que vos singularités soient mises en avant ? Comment, sans noyer d’informations celui ou celle qui s’arrêtera dans ce rayon, saurez-vous expliquer et convaincre de vos avantages ? Que se passera-t-il s’il prend votre boîte en main, la retourne afin d’approfondir son avis sur vos prestations ? À travers cet exercice créatif, qui ne nécessite pour autant aucune compétence particulière en dessin, l’analogie avec un résultat de moteur de recherche et votre page d’accueil est aisée. Et ça tombe bien, c’est l’objectif.
Persona de marque
Au même titre que le persona UX est un archétype utilisateur représenté par un individu fictif, le persona de marque est lui une représentation humanisée de votre marque. Il existe plusieurs façons de représenter votre identité par ce moyen selon les composantes de votre persona. En ce qui me concerne, le plus souvent, ce persona va permettre de mettre en évidence ses traits de caractère, sa personnalité, le ton qu’il emploie, la façon qu’il a de se présenter ainsi que l’identification d’une personnalité réelle ou fictive qui ressemble beaucoup à notre marque en termes de personnalité (Barack Obama, Luna Lovegood, Coluche…) . L’objectif est multiple puisqu’il permet d’identifier des forces, définir la base de l’UX Writing, se (re)découvrir, se différencier…
Améliorer l’usage de son interface
Ce goût de l’idéation ne me vient pas de nulle part. J’ai originellement découvert cette façon de travailler en me frottant à la démarche de conception UX. Si en travaillant l’expérience utilisateur il est évident que les usagers sont au cœur de la conception, il n’en reste pas moins que les ateliers qui jalonnent le projet se font évidemment avec une équipe pluridisciplinaire à qui il faut faire remonter la donnée utilisateur et surtout avec qui il faut la traiter, la déchiffrer, l’utiliser à bon escient. Sans idéation, c’est souvent l’interprétation subjective et certains leaders moraux, hiérarchiques ou tout simplement ceux qui ont les logiciels de création entre les mains (Coucou les copains designers) qui peuvent devenir les seules voix exprimées. C’est dommage non ?
Parmi ces méthodes, le canevas de proposition de valeurs (ou value proposition canvas) qui permet de guider la réflexion collective afin de faire correspondre votre proposition de valeur aux besoins de vos utilisateurs (ou clients). Le but est d’atteindre une certaine symétrie entre la partie droite du schéma (le profil client) et la partie gauche (la proposition de valeur). C’est la connaissance utilisateur additionnée à une règle de réflexion de groupe qui permet de mettre le doigt sur des solutions.
Il existe beaucoup d’autres méthodes UX faisant appel à l’idéation collective. Vous les retrouverez facilement dans des ouvrages incontournables comme celui de Guillaume Gronier et Carine Lallemand pour ne citer que celui-ci, si évident. Je ne les paraphraserai pas, ils sont parfaitement clairs et accessibles. Piochez simplement dans le chapitre qui vous intéresse pour en extraire une méthode applicable rapidement avec des explications limpides sur leur mise en place.
Un allié de choix si vous prenez la voie de l’éco-conception
L’éco-conception, ce sujet très en vogue (et tant mieux) est intimement lié à ces méthodes d’idéation. Si l’on s’accorde à dire que concevoir des services numériques moins impactants pour l’environnement, revient à les rendre moins lourds en termes de fonctionnalités, nous devrions donc tomber d’accord sur le fait qu’il va certainement falloir faire des choix au sujet des fonctionnalités à embarquer. Pourtant, faire ce choix peut se révéler frustrant, voire conflictuel, tant chacun peut avoir un intérêt sur telle ou telle fonctionnalité selon si elle est rattachée à son service ou non par exemple, dans le cas d’un grand groupe.
Comment se restreindre avec raison dans ce cas ? Comment arbitrer ? La force du collectif est là encore importante. En guidant la réflexion, il est possible de s’adoucir le voyage et de converger vers des choix communs. L’année écoulée a été rythmée par cette thématique à l’agence. Plusieurs méthodes que nous utilisions en idéation se sont révélées être très adaptées à l’éco-conception. En voici deux à titre d’exemple :
Choose Me a Feature
Proposez aux participants de lister en quelques minutes les fonctionnalités qui leur paraissent importantes à retrouver sur l’interface en cours de conception/refonte. Aucune limite, notez tout ce qui est cité. Dans un second temps, demandez-leur de ne conserver que celles qui sont vraiment importantes à leurs yeux. La liste se réduit souvent de moitié environ. Enfin, exigez des participants de se mettre d’accord au sujet des 3 fonctionnalités qui sont le cœur du réacteur du service. Celles sans quoi, rien ne fonctionne du tout. Le tableau final permet de bâtir les fondations d’un périmètre, d’un MVP (Minimum Viable Product) une fois les résultats croisés avec d’autres métriques telles que le temps de développement, l’énergie consommée… Cette méthode très simple offre des résultats éclairants. Pourtant c’est à la base un bricolage imaginé au sein de l’équipe LunaWeb afin de répondre à une problématique projet précise.
On vous en dit plus dans un article dédié à la méthode.
Méthode COEUR (anciennement HORSE)
Chaque participant va tirer une carte du jeu CŒUR au hasard. 5 rôles de simplification de l’interface sont alors répartis entre les « joueurs » selon ce qu’ils ont pioché :
C pour Cacher : Mettre hors de vue un élément d’interface non indispensable ici.
O pour Ordonner : Apporter de la hiérarchie et de la structure à l’interface.
E pour Éliminer : Supprimer tout bonnement un composant de l’écran.
U pour Uniformiser : Standardiser, harmoniser des éléments.
R pour Réduire : Diminuer l’importance d’un élément de l’interface.
Chacun se voit alors responsable d’une mission et va alors devoir se concentrer totalement sur celle-ci. Dans un second temps un débat collégial aura lieu. Ici encore chacun a la parole et apporte sa vision sur un point bien précis. Je ne peux que vous conseiller la conférence Blend Web Mix de Rémi Guyot son créateur pour mieux comprendre.
Là aussi, retrouvez un peu plus d’informations à ce sujet dans un article dédié à la méthode.
Faites de l’idéation un outil supplémentaire de votre mallette de designer
Les méthodes d’idéation collectives peuvent être l’adjuvant dont vos ateliers ont besoin. Il existera très souvent une méthode adaptée à votre sujet, vos participants ou le délai qui vous incombe. Elles sont très nombreuses et vous avez le droit d’en créer de nouvelles selon vos besoin. Le plus important reste d’avoir une règle commune. En amateur de jeu de société que je suis, je dois reconnaître que la réussite d’un jeu tient en grande partie dans ses règles, ses mécaniques. L’idéation répond au même principe. Alors si vous recherchez le sens, l’efficacité et que vous aimez jouer et surtout faire jouer, alors foncez !
Comme je suis curieux, n’hésitez pas à partager en commentaires les méthodes d’idéation que vous utilisez, leur intérêt, le matériel nécessaire…
Pour finir, je remercie l’équipe de 24 jours de Web et celle de Paris Web de m’avoir laissé le champ libre pour cette fenêtre de calendrier afin de vous parler de ce qui constitue pour moi l’un des meilleurs moments d’une phase de design.
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