Préparez et donnez votre premier talk

Vous avez un retour d’expérience à partager : vous saurez aider vos pairs à progresser ou à éviter des écueils que vous avez rencontrés.

Ça tombe bien : d’après le rapport the State of Developer Ecosystem in 2020, 80 % des personnes vont en conférence pour apprendre !

Développeur·se, scrum master, architecte, product owner ou testeur·euse, dans l’ingénierie logicielle ou dans un autre domaine, contributeur individuel ou manager, vous ne travaillez pas dans une bulle. Vous discutez avec vos collègues et vos clients, rédigez des documentations et envoyez des mails. Vous avez donc besoin de communiquer efficacement. Et parler en public est un excellent entrainement.

Je parle en conférences depuis plus de dix ans. Et si on m’avait donné quelques conseils, le public aurait mieux profité de mon premier talk.

Aujourd’hui, j’espère vous aider à transmettre les informations que votre public vient chercher. J’écris cet article pour vous, speaker qui n’avez jamais préparé ni donné de talk.

Avant de parler, votre sujet

Je n’ai rien d’intéressant à dire.

C’est la première chose que vous me répondez quand je vous invite à partager votre expérience. Et c’est un mensonge ! Vous vous levez pour aller travailler, 220 jours par an. J’espère que, sur tout ce temps, vous faites quelque chose qui vous intéresse — et, donc, que vous avez envie de partager.

Un sujet, ça se trouve.

L’approche la plus efficace que je connaisse ? Enfermez-vous dans une salle avec vos collègues jusqu’à avoir, chacun et chacune, votre sujet. Pour cette session, voici trois questions pour lancer la machine :

  • Que fais-tu au quotidien ?
  • Qu’est-ce qui t’a surpris ou fait souffrir, lors de ton arrivée ?
  • Quelle bibliothèque ou quel outil génial as-tu essayé récemment ?

Les échanges suivant ces questions vous aideront à dégager une idée et un titre. Il doit être clair, concis et évocateur : votre public potentiel le lira au moment de choisir dans quelle salle entrer pour leur prochaine conférence !

Ce titre sera complété d’une description de quelques phrases. J’aime le format en trois paragraphes, très scolaire et facile à déchiffrer pour vos lecteurs — dont le jury qui sélectionne les sujets.

Car oui, vous soumettrez votre titre et description en réponse à un CFP — un
Call For Papers.

Vous devez aussi faire deux autres choix.

Vous choisirez la taille de l’événement où donner votre conférence. Beaucoup préfèrent, pour commencer, une assemblée réduite : un meetup ou une présentation au boulot. Vous pouvez aussi viser plus grand : une conférence locale, nationale, ou même internationale !

Vous déciderez aussi de la longueur de votre présentation. Elle peut aller d’un lightning-talk de cinq minutes à une conférence d’une heure, en passant par les deux intermédiaires habituels : la conférence courte de vingt minutes et la conférence standard de quarante. Les speakers débutants pensent qu’un talk court est plus facile… Et je pense qu’ils se trompent : plus long égal plus de liberté, y compris de vous rattraper si vous ratez un passage.

Après cela, vous proposez votre sujet et attendez. Un beau jour, énorme coup de stress : un mail vous annonce « ton talk a été retenu 👏. » Le gros du travail est désormais devant vous : le début d’une aventure…

Le cœur de votre conférence : son contenu

Je vais bosser mes slides !

Je vous connais : c’est ce que vous avez pensé en lisant ce mail. Hé bien, ce n’est pas le moment ! Ce qui importe, maintenant, c’est le message que vous voulez transmettre.

Le public auquel vous destinez votre message est central à sa construction. En exagérant les stéréotypes, imaginons que vous parliez d’hébergement dans le Cloud :

  • un·e DSI sera intéressé·e par la scalabilité, les coûts et le time-to-market ;
  • un·e développeur·se voudra savoir comment déployer son application et sera heureux·se de gagner en autonomie ;
  • et un·e administrateur·rice système voudra comprendre comment les backups et le réseau sont orchestrés.

Trois publics, trois talks très différents !

Je dresse tout d’abord un plan macro. Je le construis petit à petit, en listant les principaux points1 dont je veux parler. Ils se transformeront en sections de ma conférence.

Pour chaque section, je liste les grandes idées qui la composeront. Quelques mots, sur trois ou quatre points. Ça y est, je commence à avoir une bonne idée de mon contenu. Je n’ai pas encore les détails ni les illustrations, mais je sais quels messages je veux transmettre.

J’assigne alors des durées cibles à chaque section. Elles ont deux objectifs : identifier l’importance relative de chaque section et m’aider à doser leurs niveaux de détails. Une section de dix minutes devrait couvrir un point plus important que celui d’une section de cinq minutes… Sinon, je n’ai pas encore cadré mon sujet ni mon approche.

J’aime dresser ce plan sur un tableau blanc. Je peux prendre du recul (oui, physiquement), effacer, recommencer… Je réfléchis mieux ainsi que sur un document numérique difficile à appréhender en un coup d’œil. Voici celui d’un de mes derniers talks, dont le sujet est aussi celui de cet article :

Un tableau blanc couvert de notes. Plusieurs couleurs de feutres sont utilisées pour distinguer les informations relatives aux contenus, aux durées, à l'accompagnement visuel de la parole ou aux commentaires
Le tableau blanc où j’ai construit le plan et noté les idées principales d’un de mes talks.

Itération suivante : le plan détaillé. J’y écris toutes mes idées, pour chaque section et sous-section. J’identifie les endroits où je souhaite insérer un schéma2, une illustration ou un exemple de code. Je note aussi des citations et des passages qui ont besoin d’une référence externe.

Pour un talk d’une demi-heure, j’atteins plusieurs pages de notes : j’ai le déroulé complet de mon talk.

Il est donc l’heure de ma première répétition !

Oui, je répète avant de créer le moindre slide. Et pourquoi pas ? Créer des slides prend du temps, alors que je ne sais même pas si mon contenu transmet mon message…

Je projette mes notes, explique mes schémas comme si je les avais créé3 et note le temps passé sur chaque section. Autant que possible, je sollicite un ou deux collègues qui critiqueront mon plan et mes enchainements d’idées.

Plan détaillé d'une conférence. Au premier niveau, les sections avec leurs objectifs et leur durée. Le second niveau liste les points à aborder et les niveaux suivants entrent dans les détails.
Un extrait du plan détaillé d’un autre talk.

Je recommence, jusqu’à ce que les idées, durées et enchainements me conviennent, pour valider le plan et les timings avant d’investir du temps sur les schémas et les slides ! J’arrive petit à petit à mon contenu, complet — et au début de mon discours.

Les slides

Vous êtes tentés de commencer par là… Mais, croyez-moi : créer des slides, schémas et animations prend tellement de temps que vous n’aurez pas cœur à en supprimer. Alors, pourquoi les créer tant que vous n’êtes pas sûre de votre contenu ?

Pour votre première conférence, ne lisez pas des dizaines d’articles ou livres et ne regardez pas huit vidéos à propos des slides. Ce qui compte, c’est votre contenu. Quant à vos slides, s’ils sont clairs et simples, ils supporteront très bien votre discours. Je vais même me limiter à deux conseils.

Le premier ? Créez des slides simples.

Ne placez pas un pâté de texte sur chaque slide4. Si vous avez plus de 30 mots sur un slide, vous pourriez le retoucher. Si vous avez plus de 30 mots sur plusieurs slides, vous devez les retoucher.

Un slide ne doit présenter qu’une seule idée. Sinon, votre public pensera déjà au second point pendant que vous parlerez du premier. Chaque idée devrait tenir en trois ou quatre points maximum : c’est la capacité de concentration de notre cerveau.

Et le second ? Écrivez plus gros.

Plus gros j’ai dit. Encore PLUS GROS ! Et quand vous pensez que c’est assez gros, agrandissez encore une fois. Pensez aux personnes au fond de la salle, fatiguées après une demi-journée de conférences ou une journée de travail ! Votre texte sera plus lisible… Et, bonus, vous enlèverez encore quelques mots pour tenir à l’écran 😉.

Les tailles de polices des modèles par défaut de Powerpoint, Keynote ou Google Slides ne sont pas adaptées : elles sont beaucoup trop petites.

On me pose souvent ces deux questions :

  • « Combien de slides dois-je utiliser ? »
  • « Quel logiciel me conseilles-tu ? »

Pour la seconde, facile : le logiciel que vous voulez. Powerpoint, Keynote ou Google Slides, reveal.js et autres font tous l’affaire. Pour votre premier talk, vous n’avez pas besoin de fonctionnalités avancées.

Et pour la première : ça dépend de vous ! J’ai vu des conférences géniales où la personne sur scène n’utilisait qu’un seul slide. Je connais des speakers qui comptent un slide pour six minutes. Je tourne moi-même à environ trois slides par minute5. Donc, à vous de voir : avec combien de slides (simples) êtes-vous à l’aise ?

Un dernier conseil : limitez les animations. En présentiel, elles distraient le public. À distance, elles risquent d’être transformées en une bouillie de pixels…

Et je ne peux terminer cette section sans vous répéter de… Répéter ! Répétez en créant et raffinant vos slides. Vérifiez qu’ils supportent votre discours, que les schémas illustrent vos propos et que chaque slide suit le précédent.

Répétez !

Vous avez répété avec votre plan détaillé, puis en construisant vos slides. Vous savez que votre contenu, vos enchainements, supports visuels et timings sont bons ! Pour autant, vous avez encore du boulot…

Placez-vous en conditions réelles !

Parlez à haute voix, avec la même intonation que devant un public. Manipulez la télécommande avec laquelle vous ferez défiler vos slides.

Vous serez debout sur scène le jour de votre conférence ? Alors, répétez debout ! Vous devrez tenir un micro ? Entrainez-vous en tenant un stylo. Oui, même si vous vous sentez un peu bête…

Vous présenterez à distance ? Choisissez si vous êtes debout ou assis et répétez dans cette position. Prenez l’habitude de regarder la caméra (positionnée à hauteur de vos yeux) et pas votre écran : c’est difficile, mais vous toucherez bien mieux votre public.

Répétez plusieurs fois, à quelques jours d’écart, en notant vos timings et les passages à retravailler.

Répétez seul, devant un miroir ou en vous enregistrant6. Puis avec du monde, devant quelques collègues peut-être7. Et même, répétez en public, par exemple lors d’un meetup local.

Enfin… Arrêtez de répéter : la veille du jour J, ce n’est plus le moment. Reposez-vous.

Le jour J

« The human brain starts working the moment you are born and never stops until you stand up to speak in public. » — George Jessel

Voici l’aboutissement du temps et de l’effort que vous avez investi dans la préparation de votre talk. Il ne vous reste plus qu’à le donner 😉

Vous serez stressé·e.

Et tant mieux ! Le stress est une force, si vous choisissez de le voir comme tel8.

Mon meilleur conseil est de vous connaitre vous-même. Si vous savez comment vous réagissez au stress, vous ne serez pas surpris·e en arrivant sur scène. D’ailleurs, c’est pour cela que vous avez répété devant du monde, n’est-ce pas ?

L’avantage d’avoir répété votre présentation est que vous pouvez la dérouler en autopilote… Et, croyez-moi, votre focus ne sera pas sur réfléchir.

Quels conseils saurez-vous appliquer sur scène ? Respirez, buvez et prenez votre temps ! Vous avez le droit de faire des pauses9 et je vous encourage à en profiter. Astuce : buvez une gorgée d’eau entre chaque section de votre talk. Cela vous aidera si vous avez la bouche sèche (un effet du stress chez moi) et aidera le public à réaliser que vous avez terminé une section et allez passer à un autre sujet.

Aussi : le public ne sait pas ce que vous vouliez dire ni si vous avez oublié quelque chose. Donc, pas de panique 😉. Et puis, vous avez droit à des antisèches ! Vous pouvez exploiter les notes du présentateur·trice pour des passages sensibles, écrire vos timings idéaux sur un bout de papier (je le fais systématiquement), ou tenir une carte dans votre main… Le public ne vous en voudra pas !

Enfin, profitez ! OK, vous profiterez plus lors de votre second talk, et encore plus pendant le troisième… Mais votre premier, ça n’arrive qu’une fois 😉

À distance : la vidéo et l’audio

En 2020, les conférences en présentiel ont été rares… Et ça va continuer encore un moment. Vous ferez votre premier talk à distance !

Pas besoin d’investir des milliers d’euros dans du matériel professionnel pour que votre conférence soit agréable. Tirez profit du matériel que vous avez chez vous et vous arriverez à un résultat meilleur que 95 % des vidéoconférences que vous subissez au quotidien !

Pour cela, testez vos équipements : utilisez votre meilleur micro10 et votre meilleure caméra11.

Pour soigner votre audio, dont l’importance est capitale, étalez des couvertures par terre, accrochez des vêtements autour de vous et placez des tissus sur votre bureau. En réduisant la réverbération des matériaux durs, votre audio souffrira de moins d’échos.

Je vous invite à regarder cette vidéo de cinq minutes où j’ai testé trente-deux installations, avec des caméras, micros et conditions lumineuses différentes. Vous verrez qu’avec les moyens du bord et un peu d’effort, vous pouvez diffuser de l’audio et une vidéo de bonne qualité.

Pour aller plus loin, d’autres vidéos plus complètes sur ma chaine.

Enfin, quelle est votre plus grande inquiétude en présentant à distance ? Que le micro ou la caméra ne fonctionne pas, que votre connexion fige… Demandez de l’aide à un ami, qui vous enverra un SMS en cas de problème et gardez votre téléphone (en mode silencieux) à proximité : s’il ne s’allume pas, tout va bien 😉

Bientôt votre premier talk  ?

Vous avez des choses à dire, des expériences à partager. Allez‑y ! Vous êtes légitimes !

Préparer une conférence prend du temps : je compte entre trente et cinquante heures. Pensez‑y et commencez à travailler longtemps avant le jour J.

Votre contenu est plus important que vos slides. Travaillez-le, construisez un plan détaillé. Et ne passez à vos slides qu’après : ils ne sont qu’un support et pas le cœur de votre discours.

Répétez ! Répétez ! Répétez !

Vous avez ce qu’il faut pour que votre public reparte avec de nouvelles idées, avec des pistes pour améliorer son quotidien. Vous êtes légitime.

À vous de jouer !

  1. Un ou deux points principaux pour une conférence courte, trois ou quatre pour une conférence longue.
  2. Attention : noter « ici, il faut un schéma illustrant XYZ » est différent de créer ce schéma. Créer un schéma prend beaucoup de temps et il est encore trop tôt : je ne veux pas perdre de temps à créer des schémas dont je déciderai de me passer !
  3. Je parle réellement en disant
    « comme vous le voyez sur ce schéma, la progression de machin est relative à bidule. »
  4. Le pâté, c’est bon avec un bout de pain, pas sur un écran.
  5. Oui, cent-vingt slides pour un talk de quarante minutes… J’ai déjà fait peur à des organisateurs avec ça 😃. Et j’ai tout juste fait mon timing, puisque mes slides appuyaient mon discours.
  6. Même si vous regarder et vous écouter en vidéo est inconfortable, cela vous aidera à progresser.
  7. Attention, vos collègues savent de quoi vous parlez et comprendront sans doute plus facilement que votre public cible.
  8. À ce sujet, vous pouvez lire le livre « The Upside of Stress », de Kelly McGonical.
  9. Trois secondes de pause, ça vous parait très long. Sur scène, j’ai déjà fait l’exercice de compter trois secondes sans parler… C’est tellement long ! Mais c’est utile pour le public : ça lui laisse le temps d’assimiler vos propos.
  10. Quel est votre meilleur micro ? Celui de votre casque audio ? Un kit mains-libres ? Celui intégré à votre ordinateur ?
  11. Quelle est votre meilleure caméra ? Une webcam externe ? Celle intégrée à votre ordinateur portable ? Un bon appareil photo ? Votre smartphone ?

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