Une nouvelle architecture pour nos applications web mobiles

Le Web mobile existe depuis quelques années maintenant. Si on voulait prendre un raccourci simpliste, on dirait qu’il est arrivé (du moins massivement) avec le premier iPhone.

De même, nous créons des applications web depuis quelques années. Si on voulait prendre un autre raccourci simpliste, on dirait que cette mouvance est arrivée avec GMail et Google Maps. (Ah oui : je vais appeler « applications web » ces sites web qui fonctionnent surtout en JavaScript et qui s’exécutent sur le poste client de l’utilisateur.)

Tout en créant ces applications web, la communauté web a créé des bibliothèques pour se simplifier la vie et retrouver les automatismes d’autres environnements : programmation suivant le paradigme MVC, concept nouveau (ou pas) de voir les interactions utilisateurs comme un cycle, coupler les vues HTML et leur comportement en JavaScript. Liste non exhaustive, vous en conviendrez.

Dans Firefox OS, nous avons fait le choix dès le départ de ne pas utiliser de telles bibliothèques toutes faites. En effet, bien qu’elles soient utiles pour le développement multi-navigateurs, elles le sont moins dès lors que l’on développe pour un unique moteur (en l’occurrence, Gecko). De plus elles cachent trop souvent les problèmes de la plate-forme web alors que notre but est bien de trouver ceux-ci afin de les corriger.

Avertissement : cet article a été écrit avant l’annonce de Mozilla du changement de stratégie de Firefox OS vers les objets connectés. Il reste cependant complètement actuel.

Des Single-Page-Apps classiques

Les applications développées pour Firefox OS utilisent néanmoins des mécanismes de Single-Page-Apps classiques (ce sont des applications qui s’exécutent entièrement dans une page HTML unique) : chargement d’une URL unique, systèmes qui permettent d’afficher ou cacher des vues en fonction des actions utilisateurs, éventuellement en modifiant l’URL, des objets en mémoire qui contiennent le modèle.

Cela fonctionne correctement puisqu’on arrive à avoir des chiffres de performance proches des mêmes applications pour Android tournant sur les mêmes téléphones.

Cependant on voit aussi que l’on arrive à la limite de cette méthode.

Les problèmes de la méthode classique

Utilisation d’application packagées

Toutes les applications préinstallées, ainsi qu’une partie des applications installées sur le Marketplace, sont sous forme packagées. C’est-à-dire qu’elles se présentent sous forme d’une archive ZIP. Cela avait été rendu nécessaire par la volonté de signer une application afin de lui accorder des privilèges supplémentaires.

Mais il faut avouer que ce n’est pas très « web », cette archive !

Gestion des mises à jour

Cette utilisation d’une archive ZIP a plusieurs désavantages. L’un d’entre eux et non des moindres est le souci des mises à jour. En effet, on est alors obligé de mettre à jour l’ensemble de l’application même si un seul fichier change.

Par ailleurs, puisque les applications préinstallées ne proviennent pas du Marketplace, elles ne peuvent être mises à jour qu’avec l’ensemble du système.

Vitesse du lancement et performance ressentie

C’est évidemment une métrique très importante pour l’utilisateur. Or dans une Single-Page App on doit forcément contrôler minutieusement le chargement initial pour permettre un affichage rapide du premier rendu, et ce n’est pas trivial.

Fluidité des animations

On le sait, sur mobile, les animations doivent absolument tourner sur le GPU. Il n’empêche que même ainsi il est trop facile de rendre une animation hachée, et surtout on y est très sensible en tant qu’humain. Il suffit de faire tourner un peu trop de JavaScript ou déclencher un reflow au mauvais moment, sur le thread principal.

Gestion de la mémoire

Avec le modèle de la Single-Page App, on va garder dans une seule page l’ensemble des données nécessaires à l’exécution de l’application, ainsi que l’ensemble du balisage nécessaire. Évidemment, il y a des techniques pour améliorer cela, mais là encore, ce n’est pas trivial.

Par ailleurs, il est très compliqué de libérer la mémoire proprement une fois qu’elle a été allouée. Et au contraire il est très facile de conserver une petite référence dans un coin qui empêche le garbage collector de faire son boulot correctement. Par exemple, on oublie trop facilement d’enlever des gestionnaire d’événements.

Utilisation des cœurs multiples

Intrinsèquement, le langage JavaScript utilise un modèle à thread unique, ce qui signifie qu’en général, un seul code JavaScript peut tourner à un instant donné, même si le matériel qui fait tourner le code contient plusieurs processeurs. C’est d’autant plus important sur mobile où les processeurs ne sont pas particulièrement véloces mais multiples.

Adaptation de l’interface

Il faut savoir que Firefox OS tourne aujourd’hui tant sur des téléphones d’entrée de gamme que sur des télévisions 4K. Or il est difficile d’adapter l’interface à différents contextes. Quand bien même les vues seraient bien délimitées par rapport au code JavaScript, il est difficile de changer simplement son apparence ou son agencement.

Pour aller plus loin, il est extrêmement difficile de changer d’apparence à la volée, comme pourrait le faire un système de thèmabilité.

Des outils d’ores et déjà disponibles

La plate-forme Web nous apporte des choses dès maintenant : les (Shared) Workers, les détestées IFrames, les canaux de communication comme BroadcastChannel ou MessageChannel, et les Service Workers.

Les Workers pour exécuter du code en parallèle

Ah, les Workers ! On sait que ça existe, mais on ne les utilise pas. Il faut avouer que c’est un peu pénible. Notamment, on n’a pas accès à la window, et donc ni au DOM ni à beaucoup d’APIs. Jusqu’à récemment on ne pouvait même pas utiliser indexedDB, un comble ! On peut consulter la page dédiée sur MDN pour connaître les APIs disponibles.

C’est néanmoins un outil fondamental, puisque c’est lui qui nous extraie du modèle « thread unique » du JavaScript.

Il faut savoir qu’il en existe deux types : les Workers simples, dédiés à une page web particulière, et les SharedWorkers qui, comme leur nom l’indique, sont partagés entre plusieurs pages d’une même origine.

Les IFrames pour séparer facilement des parties de l’application

Les plus vieux d’entre nous se rappellent bien de l’utilisation des frames dans les sites web des années 90, et depuis lors leur simple évocation nous provoque des frissons dans le dos.

Cependant l’IFrame reste un outil très utile : elle permet l’encapsulation totale d’un document, tant au niveau du DOM qu’au niveau JavaScript. Cela permet de réduire les impacts des reflows (puisque le DOM est divisé en plusieurs arbres), et de libérer très facilement la mémoire prise par ces sous-documents (il suffit de supprimer l’IFrame du DOM principal).

D’ailleurs, dans Firefox OS, chaque application vit dans son IFrame.

BroadcastChannel et MessageChannel pour communiquer facilement

Ces deux objets font partie de nouvelles spécifications pour permettre aux applications de communiquer plus facilement entre leurs différents scripts et pages.

Comme son nom l’indique, avec BroadcastChannel une partie de l’application va pouvoir s’abonner à un certain canal alors qu’une autre partie va pouvoir y publier des messages. On n’a pas besoin d’avoir une référence vers la fenêtre ou le script de destination comme avec postMessage. Et cela fonctionne tant dans la page principale que dans les IFrames ou les Workers. On peut voir ça comme un gestionnaire d’événements global à une application et qui traverserait les couches d’IFrames et de Workers.

MessageChannel est assez différent : il permet une communication bidirectionnelle entre deux points d’une application. En ce sens c’est beaucoup plus proche de postMessage, que l’on va d’ailleurs devoir utiliser pour passer le port de communication à l’une des parties.

Les Service Workers : une gestion programmatique du cache, et plus

On ne va pas trop rentrer dans les détails ici. C’est en effet un sujet très riche.

En gros, ce qu’il faut savoir :

  • Ça se place en coupure de toutes les requêtes HTTP et HTTPS. En clair, ça signifie qu’on va pouvoir intercepter toutes les requêtes et exécuter du code avant et/ou après la requête, voire la remplacer entièrement par autre chose ;.
  • Ça signifie qu’on contrôle totalement le fonctionnement réseau de notre application. On peut même implémenter des URLs qui n’existent pas vraiment ;.
  • Au sein d’un Service Worker on a accès à une API spécialisée dans le stockage de contenu avec une clé (l’API Cache). Cette API de cache est complètement sous le contrôle du code JavaScript du Service Worker ;.
  • On peut aussi chaîner facilement plusieurs caches qui auraient des sémantiques différentes ;.
  • Un Service Worker va être installé par une application au premier accès, ou bien à son installation avec l’utilisation d’un manifest. Après cette installation, il pourra être actif quand bien même aucune fenêtre de l’application n’est active ou même exécutée en fond ;.
  • Un Service Worker suit néanmoins un cycle de vie bien spécifié. Il n’est donc pas constamment actif, mais le moteur peut le « réveiller » lorsqu’il en a besoin. ;
  • Ainsi certaines APIs l’utilisent d’ores et déjà, c’est le cas de l’API Push Notification (ce qui permet à une application web de recevoir des notifications venant du serveur). À l’avenir d’autres APIs vont suivre le même chemin.

Bref, les Service Workers vont révolutionner notre manière de réaliser des applications web. Pour l’instant on n’a fait qu’écorcher la surface.

Utilisons ces outils pour concevoir l’architecture de demain

Vous vous rappelez nos problèmes initiaux ? Essayons à présent de les résoudre !

Utilisation des Service Workers

Les Service Workers vont avoir beaucoup d’intérêt puisqu’ils vont à la fois permettre de gérer l’installation, les mises à jour, la mise en cache, la gestion de certaines APIs.

Pour définir plus facilement les URLs à traiter, ainsi que que la gestion de la mise en cache, nous avons développé la bibliothèque ServiceWorkerWare qui permet de définir cela de manière très déclarative en s’attachant aux différentes phases du cycle de vie du Worker. Elle fournit également deux implémentations de base pour la mise en cache.

Nous avons prévu d’implémenter trois caches :

  • le cache Offline dont le but est de conserver les fichiers applicatifs localement ;
  • le ou les caches de personnalisation, qui vont permettre notamment de modifier certaines vues ou comportement à la volée ;
  • le cache de rendu, qui permettra de cacher et renvoyer très rapidement l’arbre HTML généré par une exécution précédente. Ce cache pourra aussi être prégénéré à l’installation, et notamment prendre en compte la localisation du téléphone, ce qui fera gagner un temps précieux au chargement de l’application.

Utilisation de documents séparés pour chaque vue

C’est sans doute l’une des idées phares de cette architecture : à chaque vue correspond un document HTML complètement séparé. Cela permet de ne charger que les fichiers nécessaires pour chaque vue, de n’utiliser que la mémoire nécessaire, et surtout de la libérer facilement lorsqu’on n’en a plus besoin.

Évidemment il faut pouvoir passer rapidement d’une page à une autre, tel que l’on en a pris l’habitude avec les applications natives ou les applications en Single-Page. Pour cela, il y a plusieurs angles d’approches :

  • implémentation d’une nouvelle API de gestion des transitions entre les pages. Cette API est encore en cours de discussion.
  • Implémentation d’une API de prerendering comme le fait déjà Blink. Cela permettra de prérendre en mémoire la vue qui a le plus de chance d’être visitée ensuite, ou bien de la prérendre en mémoire avant de l’afficher.
  • Implémentation d’une logique de cache des fichiers JavaScript réutilisés entre les pages.

Il est à noter que tout cela n’est évidemment pas dédié à Firefox OS uniquement mais est destiné à profiter également au navigateur Firefox.

Utilisation massive des Workers

Nous allons utiliser des Shared Workers pour contenir tout le modèle d’une application. L’interface entre les Workers et la vue peut être codifiée sous forme d’une interface de services. Ainsi il est plus facile de modifier la vue sans toucher aux services, et inversement.

Ainsi nous déportons une grande partie de la logique métier dans un thread séparé ce qui libère du temps CPU pour le calcul de rendu de l’interface web.

La bibliothèque bridge permet de facilement exposer des services d’un Shared Worker et d’y accéder depuis une vue.

Utilisation des Web Components

Ce n’est pas directement lié à ce dont nous avons parlé plus tôt, mais nous avons néanmoins décidé d’utiliser massivement les Web Components. Nous avons commencé à développer un certain nombre de composants sur Github.

Notamment, le composant gaia-fast-list vise à permettre l’utilisation de listes de grande taille (« liste infinie ») tout en gardant un défilement fluide.

On pourra aussi consulter la présentation de Wilson Page sur les Web Components (avec Firefox bien sûr !).

Une nouvelle architecture pour une nouvelle époque

Vous l’aurez compris, cette architecture montre une rupture avec les techniques actuelles : utilisation massive des Workers, arrivée des Service Workers, techniques de cache et de prerendering. Mais surtout, elle revient aux origines du Web : une vue est un document avec son URL, et on navigue dans l’application comme on navigue entre documents. Pour en savoir plus, on pourra aller lire la proposition complète sur le Wiki de Firefox OS.

Il est totalement possible que tout ou partie de cette architecture ne fonctionnera pas. Il faut néanmoins l’essayer avant de pouvoir en tirer des conclusions. Peut-être dans l’édition 2016 de 24 jours du web ? ;)

Et vous, qu’en pensez-vous ?

Crédits

L’image de l’architecture des applications a été réalisée par Jérémie Patonnier.
L’image des caches dans un Service Worker a été réalisée par Vivien Nicolas.

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