Le nouveau
Le nouveau est un personnage récurrent dans la vie d’une entreprise.
C’est une espèce avec une durée de vie limitée, mais qui pourtant dispose de pouvoirs énormes, alors même qu’il l’ignore souvent.
Nous avons tous été un nouveau.
Nous le serons probablement tous encore (et encore).
Nous avons tous accueilli un nouveau.
Pourtant, j’ai l’impression que, globalement, l’accueil d’un nouveau n’est jamais vraiment à la hauteur de ce qu’on attendrait en tant que nouvel arrivant.
Et c’est compréhensible (à peu près). Tout le monde travaille, certains sont débordés, et généralement, quand on embauche quelqu’un, c’est pour soulager la charge de travail de tout le monde.
On peut facilement avoir l’impression d’être abandonné à soi-même, façon marche ou crève hop-hop-hop, et surtout apprends vite tout, tout seul, parce que personne n’a vraiment le temps de t’expliquer.
Disclaimer
Je n’ai pas 10 ans d’expérience, ni 25 boites différentes. Juste quelques boites, et quelques équipes.
J’aimerais simplement partager ce que j’ai vécu lorsque j’accueillais les nouveaux chez mon ancien employeur, lorsqu’une nouvelle recrue représentait une augmentation de 25% de l’effectif global.
Ce que j’ai vécu en rejoignant mon employeur actuel, il y a 18 mois.
Ou encore ce que je vis actuellement, accueillant 7 nouveaux développeurs américains et scrum masters, passant d’une équipe de 4 dans un bureau, à une équipe de 14 sur 2 continents, 3 timezones et 4 bureaux.
J’ai moi-même fait pas mal d’erreurs, et j’aimerais essayer d’éviter à d’autres d’avoir les mêmes travers que moi.
Mais commençons d’abord par les présentations.
Le nouveau, ce personnage étonnant
- Phrase préférée : « Non mais c’est quoi ce bazar… Purée je ne pige rien. »
- Caractéristiques principales :
- Pose beaucoup de questions. Tout le temps.
- A souvent l’air un peu paumé, mais en même temps de bonne volonté.
- Motivé, parce que tout neuf, parce qu’en période d’essai, mais pas seulement. La plupart du temps, commencer un nouveau job donne envie de prouver, tant à soi-même qu’aux autres, ce qu’on vaut, et de le montrer.
L’ancien, barbu ou non
- Phrase préférée : « C’est historique. »
- Caractéristiques principales :
- Il a souvent beaucoup de travail. En tout cas il est souvent très occupé. La causalité entre ces deux états n’étant pas obligatoirement présente.
- Parfois il semble être blasé, condescendant, voire simplement décidé à envoyer chier tout le monde. Spécialement ce nouveau qui ne peigne rien à rien, et pose toujours des questions.
- Il est expérimenté, fait fonctionner la boutique d’une main, pendant qu’il gère les imprévus de l’autre.
Mais, comment (bien) accueillir mon nouveau ?
J’aimerais proposer humblement quelques conseils basés sur l’expérience que j’ai eu dans ces deux entreprises incroyables que sont Wid’op et Luceo.
Donner des responsabilités
Le meilleur moyen de catalyser la motivation toute fraîche du nouveau, est de lui faire confiance, et de le lui montrer, en lui donnant des vraies responsabilités.
Attention, je ne parle pas de lui donner le développement d’un projet critique en solo. Ca serait un peu suicidaire (et un peu stupide).
Non, je parle de lui proposer de développer des vraies fonctionnalités, de créer des choses réellement nécessaires et utiles, qui finiront en production relativement rapidement. Pas le vieil audit moisi, pas reprendre le travail à moitié fini d’un ancien mauvais prestataire/stagiaire.
Je parle aussi de le laisser faire ses choix, peut-être même si vous n’êtes pas sûr qu’il a raison. Oui même dans ce cas là.
Je pense personnellement qu’il est bien plus préférable pour une entreprise de laisser cette liberté de se tromper à ses développeurs, plutôt que de les bâillonner en choisissant pour eux, ou en les forçant dans une voie qu’ils n’approuvent pas.
C’est cette liberté et cette confiance qui peut transformer un simple exécutant en développeur actif, qui s’impliquera dans son travail et innovera, en allant au-delà des attentes qui reposent sur lui.
Et puis au fond, si vous l’avez engagé, c’est pour ses compétences et son cerveau, alors laissez-le l’utiliser un peu.
Partez au moins avec un a priori positif, c’est le minimum.
A éviter par dessus tout :
- Mettre en place une culture du blâme, façon « Ok, fais comme tu veux, mais si ça foire, je t’attends au tournant. »
Rien de mieux pour tuer toute créativité. Si vous décidez de faire confiance au nouveau et de le laisser choisir, vous le soutenez, même si ça foire.
Vous avez choisi, en tant qu’ancien, de lui laisser les rênes, vous allez au bout du trajet avec lui.
Eh oui, c’est le prix de la liberté et de la créativité que de se prendre un bon mur de temps en temps. - Ne pas donner de suite au travail réalisé/proposé.
Si vous êtes en désaccord, alors expliquez clairement pourquoi. Si vous êtes enthousiaste, ravi, surpris, déçu, dites-le.
Les nouveaux, encore plus que les autres, sont demandeurs de retour et d’opinion, pour s’améliorer et s’inscrire dans la façon de faire de l’équipe.
Ne pas donner suite est là aussi le meilleur moyen de doucher la motivation de votre nouveau, et de le transformer en simple écriveur de code à la chaine.
Mettre en place un parrainage
Non, pas celui façon salle de sport.
Lorsque j’ai rejoint mon employeur actuel, j’ai aussi rejoint une application qui a près de 8 ans, 450 000 lignes de code, et une sacrée masse de connaissances à appréhender.
Alors tous les vendredis après-midis, le directeur technique prenait trois heures de son temps, et me montrait une partie spécifique de l’application, façon visite guidée : « Alors ici on a architecturé ça comme ça, les objets interagissent comme ça, et ici c’est la partie un peu sale. Fais attention dans tel cas et tel cas de figure. »
Je vous avoue que sans ça, ce n’est pas en quelques semaines que j’aurais été vraiment opérationnel et productif, mais plutôt en quelques mois.
Encore une fois, je ne parle pas de simplement dire « Bon Jean-Paul, c’est toi qui t’occupes du nouveau, du coup quand il aura des questions, c’est toi qu’il va venir emmerder. Par contre, tu as toujours autant de travail, et tu dois tenir les mêmes deadlines. Bisous. » Il faut réellement jouer le jeu, et allouer du temps exprès. Il faut réfléchir un peu, et mettre ensemble des gens qui, a priori, vont bien s’entendre.
Le mentorat ne passe pas que par le temps passé ensemble, mais aussi par la confiance et le respect qui s’instaurent entre l’élève et le mentor. C’est l’envie de bien faire qui permettra au nouveau de s’épanouir et de vraiment donner tout son potentiel.
Alors, à vous, nouveau :
Vous avez énormément d’influence sur la façon dont va se dérouler votre arrivée.
Vous pouvez décider que cette boîte, finalement, elle est comme les autres. C’est le bazar, le code est franchement cradingue, et tout le monde nage en cercle, au lieu de faire avancer le navire (oui cette métaphore n’a aucun sens).
Vous pouvez décider que les gens qui travaillent ici n’ont visiblement pas le même standard de qualité que vous, et finir par râler tout le temps — ou pire encore, par ne plus râler du tout et simplement la boucler.
Ou alors…
Ou alors vous pouvez décider d’arriver, et de renier tous ces a priori, ces jugements à l’emporte-pièce, sur les trucs franchement bizarres (pour ne pas dire moches) qui vivent dans le code actuel.
Et décider de ne juger qu’après avoir un peu de contexte et d’éclairage, qu’après avoir découvert que cette petite monstruosité, si affreuse avec ses poils et son air revêche, a été un choix délibéré de contracter une dette technique, pour atteindre un objectif plus grand.
Un très gros client, qui a permis à l’entreprise de conquérir un gros marché, de tenir une deadline imposée, ou même de sauver la boite.
Que cette partie du projet, foutrement compliquée et avec un design complètement enchevêtré, n’est en fait que le reflet de règles métier encore plus compliquées. Et que vous n’auriez probablement pas fait mieux.
Mais cela, vous ne pouvez le réaliser qu’après vous être un peu ouvert et avoir écouté ceux qui possèdent cette connaissance, cette expérience.
À vous aussi, ancien :
Vous aussi vous choisissez quel vieux vous voulez être.
Vous pouvez opter pour le dinosaure, savant mélange entre papy Mougeot et Grincheux. Choisir que finalement, le nouveau, il va bien falloir qu’il fasse comme tout le monde, et qu’il y a quand même autre chose à faire que de le tenir par la main.
Après tout, c’était comme ça quand vous êtes arrivé, et vous n’êtes pas mort.
Et puis il vous gonfle avec ses idées à la noix, à vouloir tout changer ce qui marche bien.
Ou alors…
Ou alors vous pouvez décider d’être humble. Simple. Accueillant.
Un mélange entre Yoda et Churchill, pour le sang et les larmes.
Vous pouvez décider de prendre le temps d’accueillir vos nouveaux, et de leur donner toutes les clefs, pour qu’ils puissent se sentir au mieux, et donner le meilleur de ce qu’ils ont.
Vous pouvez essayer de construire une équipe avec une dynamique, sur laquelle vous pouvez vous reposer, au lieu d’essayer de la contrôler ou de l’abandonner à elle-même.
L’utopie ?
Je sonne un peu bisounours ? J’oublie les contraintes et les réalités, et je ne me rends pas compte du monde réel ?
Sans être totalement d’accord, j’y ai cru pendant un certain temps.
Et puis j’ai fréquenté une entreprise où ce que je décris est en place. Et une autre.
Et ça m’a ouvert les yeux sur ce que j’ai vécu ailleurs.
Sur tout le gâchis qui était engendré, simplement en douchant directement la motivation forcément un peu fragile du nouveau.
Je me trompe peut-être, mais je crois que remotiver quelqu’un, quand il effectue un travail majoritairement créatif comme le nôtre (que ce soit intégrateur, designer ou développeur) est extrêmement difficile, sinon impossible.
Une des façons les plus efficaces est de s’efforcer de conserver cette inertie avec laquelle arrive le nouveau. De l’encourager, même au coût mineur d’un peu de temps, ou de petites erreurs. Pas besoin de l’engagement de toute la hiérarchie du monde, ça peut ne passer que par des petites choses, par une ambiance, mais surtout par la confiance d’être mis en responsabilité, et soutenu si jamais quelque chose ne marche pas du premier coup.
On ne peut pas motiver les gens, on ne peut que créer un cadre qui rend possible à la motivation d’éclore
— (Je n’arrive pas à retrouver qui à dit ça, mais vive lui !)
2 commentaires sur cet article
Christophe Gesché, le 14 décembre 2014 à 22:34
Quelques réflexe que j'ai quand on a un nouveau...
Abdel-Malik, le 20 décembre 2014 à 20:30
Encore un très bon article, franchement je suis en train de tous les lires et je prends énormément de plaisir tant la qualité est là :)
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